Parmi les plus innovantes modifications des Traités figurant dans le projet du PE(1), celle relative à la future procédure de révision mérite l’attention.
On sait en effet que, dans le texte actuel du Traité de Lisbonne, cette procédure comporte un double verrou qui ne peut être franchi que par l’accord unanime des 27 États membres : au niveau de la Conférence des Représentants des Gouvernements d’abord, au niveau des ratifications nationales ensuite.
Le projet du Parlement propose les modifications suivantes :
la Conférence pourra donner son accord par un vote à la majorité qualifiée des 4/5èmes des États (soit 22 sur 27),
la révision entrera en vigueur dès que les 4/5èmes des États l’auront ratifiée,
si le seuil des 4/5èmes des ratifications n’est pas franchi au bout de deux ans, le projet de révision sera soumis à un referendum au niveau européen (2).
Cette modification - de nature proprement constitutionnelle - est sans aucun doute la plus fondamentale du projet du PE. Elle s’appuie sur de solides arguments et notamment :
l’extrême difficulté d’obtenir le vote unanime des 27 Gouvernements sur toute proposition de révision - et, plus encore, l’accord des 27 Parlements pour sa ratification (3). Difficulté rendue quasiment insurmontable suite à l’élargissement envisagé de l’UE à une dizaine de nouveaux États,
la légitimité démocratique du recours à un referendum à l’échelle européenne en cas de blocage par une petite minorité de Gouvernements ou de Parlements nationaux,
l'exemple du recours fréquent au vote majoritaire pour la révision de Constitutions nationales (fédérales) comme de Statuts/Chartes d'Organisations internationales.
Quelles remarques appelle cette proposition ?
la majorité des 4/5èmes des États aurait pu, comme dans le cas de décisions de nature législative, être accompagnée d’une exigence de majorité renforcée des populations (par exemple 75% de la population totale de l’UE),
le Traité de Lisbonne lui-même prévoit que - deux ans après les ratifications par les 4/5èmes des États - « le Conseil Européen se saisit de la question » et peut donc proposer toute forme de sortie de crise,
la nouvelle procédure de révision proposée par le PE pour l’avenir ne peut pas s’appliquer ex ante aux Traités en vigueur - mais est susceptible d’influencer les débats au sein du Conseil Européen.
Il est probable que la modification (en fait le déblocage) de la procédure de révision des Traités fera partie du débat sur la réforme de l’Union qui devrait s’engager dans les prochaines semaines.
Elle peut même être présentée comme « la mère de toute réforme », celle qui déterminera la capacité d’adaptation de l’Union à de nouveaux contextes internes ou internationaux.
La proposition du PE sera sans doute considérée comme audacieuse voire provocatrice sur le plan politique. Mais elle a au moins le mérite de la clarté et de l’objectivité - essentiellement motivée par l’intérêt commun d’assurer la poursuite du projet européen tant qu’il sera soutenu par une forte majorité des États membres et de la population de l’Union.
Jean-Guy Giraud - 12 - 11 - 2023
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NB Pour une étude détaillée sur la modification de la procédure de révision des Traités, voir : https://institutdelors.eu/wp-content/uploads/2020/08/policypaper37-hbribosia-r_viser_les_trait_s.pdf
(1) voir : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2023-0337_FR.html (amendements n° 71 à 75)
(2) le projet du PE prévoit la création d’une procédure de referendum européen : voir amendement n° 20
(3) la « ratification par 27 Parlements » implique, en fait, le vote majoritaire de plus de quarante Chambres législatives et Assemblées régionales. D'autre part, cette ratification implique le recours à un referendum national dans plusieurs États membres
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