top of page
Rechercher

FINANCEMENT DE L’UNION : DANGERS ET ESPOIRS



Sans grande surprise, la Commission vient d’annoncer le report de sa proposition de création des trois nouvelles ressources propres destinées notamment à financer le remboursement des emprunts contractés dans le cadre du “New Generation Plan” (NGP). Le principe de cette création avait été “autorisé” par le Conseil européen et ces ressources devaient entrer en vigueur à partir de 2023.


Mais tant l’opposition des Etats-Unis que des désaccords internes à l’UE obligent la Commission à revoir sa copie qu’il s’agisse des taxes carbone, CO2 ou GAFA (1)


Un financement très déséquilibré

Pour ce qui est du budget “ordinaire” de l’Union, la situation en matière de ressources n’est guère plus brillante : l’essentiel du financement des activités de l’UE demeure dépendant des contributions budgétaires fournies par les EM. Ce qui est non seulement en parfaite contradiction avec la lettre et l’esprit des règles fixées par le Traité mais aussi politiquement hasardeux dans les circonstances actuelles.


Dans les budgets 2021 et 2022 (avant-projet), le tableau des ressources de l’UE (2) se présente ainsi (en euros) :


Ce tableau appelle quelques remarques générales :

  • sur le volume total des recettes (170 M): on constate une quasi stagnation des moyens mobilisés - compte non tenu, il est vrai, du produit du grand emprunt NGP (hors budget) qui financera la plus grande partie des dépenses liées à la crise. Ceci correspond évidemment au maintien d’un plafonnement sévère des dépenses (toujours hors NGP) prévues par le cadre financier 2021/2027

  • sur les contributions nationales (114M): elles constituent toujours l’essentiel des ressources de l’UE, faute de vraies ressources propres disponibles. Différents facteurs viendront probablement accroitre cette part (67%) pour atteindre le niveau de 75 à 80% constaté ces dernières années. Toutefois, le montant à charge des Etats reste modique : pour 2022, il est fixé à 0,76% du RNB de chaque EM,

  • sur la TVA (19 M) : le blocage persistant de la “modernisation” de cette ancienne recette (faute d’accord unanime des EM) lui fait jouer un rôle marginal alors qu’elle fut dans le passé la principale et la plus performante des ressources propres (3). D’autre part, son assiette reste plafonnée à 50% du RNB de chaque EM et son taux bloqué à 0,3%,

  • sur les droits de douane (18 M) : leur volume est en constante diminution du fait de la régression des droits perçus et de l’augmentation constante du montant prélevé par les EM (de 10 à 25%),

  • sur les ressources diverses (13 M) : leur sensible augmentation en 2022 est liée au premier versement par le RU de sommes dues suite au Brexit (11 milliards). Cette ressource n'est programmé que pour une période limitée et sujette au respect des accords passés avec le gouvernement britannique (4),

  • sur la taxe plastique (6 M) : c’est la seule nouvelle et véritable ressource propre susceptible d’entrer en vigueur. Sa perception effective en 2022 demeure incertaine au vu de l’état de préparation des administrations nationales chargées de sa gestion. Son rendement réel est tout aussi aléatoire. Elle sera sujette à un régime d’abattements forfaitaires variable selon les EM.

Le crépuscule des ressources propres

Au total, un tableau peu reluisant qui reflète l’érosion continue de la place des vraies ressources propres dans le financement de l’UE. Le développement de la "TVA européenne” en tant que quasi-ressource propre est bloqué depuis de nombreuses années tant pour des raisons techniques (harmonisation de l’assiette) que politiques (opposition des Ministères des Finances). L'affectation à l’UE d’une partie du produit de l’impôt sur les sociétés reste une perspective très lointaine pour les mêmes raisons.


Ainsi, paradoxalement, l’essentiel des ressources de l’UE demeure à la charge - et dans les mains - des budgets nationaux dont une bonne partie affiche déjà un déficit chronique. Situation non seulement anormale mais dangereuse dans le cas où certains parlements nationaux mettraient en cause cette contribution - pour diverses raisons - lors du vote sur leurs propres budgets annuels. Dans le contexte actuel de crise grave entre l’UE et deux de ses EM (Hongrie et Pologne), dans laquelle les questions budgétaires se trouvent prises en otage, une telle hypothèse n’est pas à exclure.


Dans tous les cas, on sait que chaque réforme ou création de ressource propre exige non seulement un vote unanime des 27 EM mais également l’accord des Parlements nationaux. Le Parlement européen - pourtant seul représentant commun des citoyens-contribuables européens - n’étant que consulté.


D’autre part, la fragilité de l’image de l’UE dans certaines parties des opinions publiques n’encourage pas les responsables européens à consolider la fiscalité européenne. L’hostilité chronique du Conseil et la frilosité de la Commission en la matière sont bien connues. Si bien qu’il revient au Parlement européen de poursuivre inlassablement ses efforts en la matière (5) en multipliant études, rapports et propositions - jusqu’ici sans succès.


La brêche de l'emprunt

Toutefois, une sorte de brêche latérale s’est ouverte à l’occasion de l’adoption du NGP en 2021 : le lancement du grand emprunt de 800 milliards d’euros pour financer les dépenses de relance de l’économie européenne post-COVID.

Le recours à l’emprunt comme une forme de ressource propre de l’UE avait souvent été évoqué dans le passé - notamment par le PE. Il aura fallu une crise majeure pour débloquer - de façon assez spectaculaire - ce nouveau type de recette qui constitue en fait une dette … remboursable grâce à de nouvelles ressources proprement fiscales. Bien que cette opération ait été qualifiée d’exceptionnelle et temporaire par le Conseil, elle ouvre peut-être une perspective plus durable.


Comme pour les budgets nationaux, il serait envisageable qu’une partie des dépenses de l’UE soit habituellement financée par l’endettement - notamment dans la mesure où une partie de ces dépenses serait affectée à des investissements productifs. Le crédit de l’UE sur les marchés des capitaux - en tant qu’entité politique, économique et financière - lui assurerait une large entrée et des taux préférentiels, comme le lancement de la première tranche de l’emprunt NGP vient de le confirmer.


Enfin, l’on pourrait imaginer que les trois nouvelles taxes évoquées en introduction (Carbone, CO2 et GAFA) survivent au financement de l’emprunt et deviennent des ressources permanentes de l’UE. Elles ont au moins l’avantage de ne pas taxer (directement) le contribuable européen et de correspondre à des objectifs “vertueux” : l’environnement et la concurrence. Mais c’est une tout autre question, pour l’instant suspendue.


En résumé, la situation actuelle relative au financement du budget de l’UE se caractérise par:

  1. une menace du fait du blocage persistant du système des ressources propres et de la forte dépendance de ce budget vis à vis des gouvernements/parlements en place dans les EM,

  2. un espoir de voir l’emprunt NGP et les trois nouvelles taxes qui lui sont liées ouvrir de nouvelles perspectives.



Jean-Guy Giraud 22- 07 2021

_________________________

(4) à noter que parmi ces ressources diverses figure le produit de l’impôt européen acquitté par les fonctionnaires de l’UE en activité ou en retraite - soit 1,8 milliard d’euros ...

(5) la Commission des budgets du PE a entrepris une “croisade” des ressources propres dès … 1975, sous l’égide du Président Spénale. Elle fut poursuivie par d’autres éminentes figures telles qu’Altiero Spinelli et, plus récemment, Alain Lamassoure.

bottom of page