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DES CADEAUX FISCAUX GRÂCE AU DROIT DE VETO



La règle du vote à l’unanimité au sein du Conseil (cad du droit de veto de chacun des 27 États membres) est, on le sait, un des obstacles majeurs à la prise des décisions communautaires.


Elle s’applique non seulement à des secteurs particulièrement sensibles comme ceux de la politique étrangère, de sécurité et de défense - mais aussi dans de nombreux cas directement liés à des décisions qui constituent le coeur même des compétences de l’UE, par exemple celles relatives au marché intérieur.


Les cadeaux aux multinationales : un cas d’école


Un exemple frappant nous est fourni, ces derniers jours, par la proposition de directive relative à la transparence des activités des branches des grandes entreprises internationales opérant dans les différents États membres.


(Ces entreprises utilisent une pratique comptable d’évitement fiscal qui fait perdre à l’UE (en fait aux Etats membres) des montants considérables de revenus estimés globalement à plus de 50 milliards d’euros par an (1).

Cette pratique est principalement basée sur l’absence de déclaration - pays par pays - des chiffres d’affaires et donc des bénéfices réalisés par ces branches dans chacun des États membres. Ce qui leur permet de choisir librement la façon et le lieu où elles font ces déclarations afin d’optimiser leur charge fiscale.

La Commission a proposé, en 2016, une directive (en fait un complément à une précédente directive de 2013) qui aurait obligé ces entreprises à présenter séparément les relevés de leurs activités - et donc de leurs bases d’imposition - dans chacun des Etats où elles opèrent. Ce qui permettrait à ces États de percevoir les revenus fiscaux correspondants.

Le Conseil bloque cette directive depuis lors - en dernier lieu le 2911/19 - en dépit de …18 réunions du groupe de travail concerné)


La base juridique de cette directive proposée par la Commission était la même que celle de la précédente de 2013 - à savoir l’article 50§1 TFUEqui traite des modalités du libre établissement des sociétés dans l’UE.


Or les décisions prises par le Conseil sur cette base sont adoptées selon “la procédure législative ordinaire” cad à la majorité qualifiée des États membres.


Un tour de passe passe pour un cadeau fiscal


Les États membres opposés - par intérêt ou par principe (2) - à cette transparence ont donc contesté cette base juridique et proposé (3) d’utiliser une base différente nécessitant l’accord unanime des membres du Conseil. En l’occurence, celle de l'article 115 TFUE qui traite de l’harmonisation des réglementations nationales "ayant une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur".


Ce tour de passe-passe permet en fait à ces États de bloquer tout accord sur le texte concerné. Le verrouillage est d’ailleurs double car toute modification de la base proposée par la Commission exigerait paradoxalement, elle aussi, un vote unanime …


De sorte que les branches concernées des sociétés internationales - en fait ces sociétés elles mêmes - peuvent continuer à bénéficier du cadeau fiscal qui leur est ainsi consenti, au détriment des budgets et donc des contribuables nationaux.


On ne peut s’empêcher de penser que la récupération des revenus fiscaux ainsi perdus par les États (4) leur permettrait de se montrer plus ouverts à un accroissement bien nécessaire du budget de l’Union (5).


Une question de démocratie ?  


Cette affaire n’est qu’un exemple, parmi beaucoup d’autres, des blocages et des dégats que peut causer le maintien de la règle du veto au sein du Conseil.


Et donc aussi un exemple des modifications des traités qui apparaissent encore nécessaires dans l’intérêt commun tant de l’Union que de ses Etats membres (6).


Ce type d’obstacle au développement de l’UE fera-t-il l’objet d’un examen critique lors du grand exercice de réforme à entreprendre par la Conférence annoncée sur "le futur de l’Union” ? Cela dépendra beaucoup de la détermination de la Commission et du Parlement à (re)mettre sur la table de telles questions épineuses.


Certes, le but affiché de cette Conférence vise officiellement “la démocratisation” de l’Union. Mais peut-on vraiment considérer que le principe de la justice fiscale est totalement étranger à ce noble objectif ? 



Jean-Guy Giraud  01/12/2019

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(1) soit l’équivalent d’un tiers du budget annuel de l'UE

(2) par intérêt, pour les États où ces branches sont plus ou moins fictivement domiciliées - par principe, pour les États hostiles à la perte de leur droit de veto sur des mesures ayant trait, même indirectement, à l’harmonisation fiscale.

(3) avec l’appui du service juridique du Conseil

(4) auxquels s’ajoutent les pertes astronomiques provoquées par d’autres mécanismes de fraudes (notamment sur la TVA) qui persistent en l’absence de règles d’harmonisation fiscale exigeant, elles aussi, le vote unanime des États.

(5) budget lui aussi soumis à la règle de l’unanimité lors de l’adoption du cadre financier pluriannuel.

(6) à noter que la Convention de 2002 qui a fourni la base du traité de Lisbonne n’avait pas pu - ou voulu - modifier la règle de l’unanimité stipulée par l’article 115 TFUE.

Voir aussi : 

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