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CONTEXTUALISER L’ « AFFAIRE DU QATAR-GATE »



L' « affaire du Qatar-Gate »au Parlement européen - qui passionne les medias - poursuit son cours au fil des « révélations » d’origines diverses et des enquêtes policières et internes à l’Institution.


Sans entrer ici dans le détail de faits connus ou allégués, il peut être utile de rappeler quelques éléments de base.



Le Parlement, Institution politique ...

Contrairement aux autres Institutions (Conseil, Commission, Cour de Justice, Banque Centrale, Cour des comptes), le Parlement est un organe de nature essentiellement politique - comme d’ailleurs ses homologues nationaux.


Cette nature politique emporte certaines conséquences que l’on peut brièvement résumer ainsi :

  • le choix initial des candidats parlementaires est effectué librement par les partis politiques nationaux et sous leur seule responsabilité (sous réserves des règles d’inéligibilité). C’est donc à ces instances nationales qu’il appartient d’apprécier - le cas échéant - les candidatures en regard de la situation et des antécédents éventuels des personnes concernées,

  • la fonction parlementaire en elle-même implique une large marge d’autonomie et de liberté d’action individuelles dont les limites sont difficiles à fixer et plus encore à contrôler,

  • plus généralement, l’organisation et le fonctionnement d’un Parlement doivent donner à celui-ci une indépendance - et une responsabilité corollaire - aussi larges que possible, notamment vis à vis du pouvoir exécutif voire du pouvoir judiciaire (immunité).


… dotée d’un code de conduite ...

Dans le cas particulier du Parlement européen - comme dans la plupart des parlements nationaux - des règles existent pour encadrer certains aspects de la fonction parlementaire, notamment pour assurer « le désintéressement, l’intégrité,la transparence, l’honnêteté … » des députés et d’éviter d’éventuels conflits d’intérêt.


Ces règles (fort détaillées) figurent dans un Code de conduite annexé au Règlement intérieur (1) et leur respect est placé sous le contrôle d’un comité consultatif. La saisine de ce comité ainsi que la décision de sanctions éventuelles appartiennent au Président. L’application effective de ces règles est de la seule discrétion et responsabilité des instances compétentes.



… d’organes internes parallèles ...

L '« affaire » du Qatar-Gate a d’autre part mis en lumière l’existence d’organes parallèles aux structures principales (Présidence, Bureau, Questeurs, commissions, …) du Parlement européen.


Il s’agit notamment des « délégations » interparlementaires, organes officiels qui réunissent des membres du PE avec des parlementaires de pays tiers et d’organisations internationales. La liste en est impressionnante : près de cinquante à ce jour couvrant la plupart des pays - dont le Qatar (2) - de tous les hémisphères (3). Selon la présidence de la Conférence des délégations, celles-ci participent « au rôle essentiel que joue la diplomatie parlementaire dans la définition et la réalisation (…) des objectifs des politiques extérieures de l’Union ». De fait, les relations personnelles qui s’établissent ainsi entre parlementaires européens et étrangers peuvent effectivement contribuer au rapprochement des points de vue diplomatiques et faciliter, le cas échéant, les ratifications parlementaires des accords internationaux. On peut citer notamment le cas de la délégation du Parlement auprès du Congrès américain, assistée par le bureau d’information du PE basé à Washington. On relèvera enfin que ce système de délégations est largement pratiqué au sein des parlements des Etats membres (notamment en France et en Allemagne).


De même se sont constitués au fil des ans des « groupes d’amitié destinés à débattre des relations avec les pays tiers ». Il s’agit d’organes non officiels et non répertoriés envers lesquels le site du PE affiche curieusement une forte réticence précisant même que ces groupes « sont parfois financés par des lobbyistes ou des gouvernements étrangers », ne bénéficient pas de l’assistance de l’administration et « ne peuvent pas s’exprimer au nom du Parlement ». (4). Il existe notamment un groupe d’amitié UE/Qatar.



… et de collaborateurs de natures diverses.

D’autre part, l’ « affaire » a mis en question le rôle supposé de certains collaborateurs des parlementaires impliqués.


Il faut savoir que sur les 6.850 personnes inscrites à l’organigramme du PE (budget 2023), 5.480 sont des fonctionnaires statutaires recrutés sur concours et 1.360 sont des agents temporaires principalement au service des Groupes politiques et recrutés librement par ceux-ci. D’autre part, un certain nombre d’agents contractuels (principalement des assistants personnels des parlementaires basés au siège ou dans les circonscriptions) sont recrutés de façon autonome en fonction des crédits disponibles dans le budget. (5).


Les tâches des fonctionnaires statutaires sont placées sous l’autorité directe du Secrétariat Général : une bonne partie d’entr’eux sont chargés de la préparation et du suivi des travaux législatifs du PE (Secrétariats de commissions et Service de recherche). Les fonctions des agents sont au contraire librement déterminées par leurs autorités respectives et sous leur seule responsabilité et contrôle. Au fil des ans, les effectifs de ces agents ont considérablement augmenté, notamment en pourcentage de l’ensemble du personnel.



Quelles conclusions provisoires peut-on tirer de l’ « affaire » ?

On remarquera tout d’abord que - au stade actuel des enquêtes - les conséquences pratiques de l’ « affaire »paraissent assez limitées. Il ne semble pas, en particulier, que les intérêts financiers ou commerciaux de l’Union aient été directement affectés par les pratiques de corruption alléguées. D’autre part, l’importance relative - politique ou économique - des relations entre l’UE et le Qatar ne devrait pas être surestimée.


Il apparait ensuite que le Parlement ait - à cette occasion - pris conscience de certaines lacunes dans le Code de conduite et d’un probable laxisme dans son application. Dès le 15/12/2022, il a adopté une résolution prévoyant plusieurs modalités de renforcement de la lutte et du contrôle internes contre les tentatives de corruption (commission spéciale de révision du règlement intérieur, commission d’enquête sur le Qatar-Gate lui-même, nomination au sein du Bureau d’un Vice Président dédié à la lutte contre la corruption, …) (6). D’autre part, l’assemblée sera saisie d’une proposition de suspension des fonctions et de levée d’immunité des membres directement impliqués.


Certains commentateurs vont jusqu’à se féliciter que, du fait de cette « affaire », la diplomatie parlementaire européenne pourra être remise sur rail et débarrassée de pratiques déviantes nuisibles à la réputation de l’Institution (7).


C’est peut-être aller un peu vite en besogne. Il convient sans doute d’attendre les conclusions des différentes enquêtes que l’on souhaite aussi exhaustives et promptes que possible. Quelles que soient ces conclusions, il appartiendra au Président, au Bureau, aux Présidents des Groupes politiques et au (nouveau) Secrétaire général d’en tirer rapidement et complètement la leçon. La campagne politique pour les élections européennes de 2024 débutera au plus tard au début de cette année. Au vu des enjeux posés à l’Europe par le contexte international, il faut à tout prix éviter que cette malheureuse affaire ne vienne polluer le débat.



Jean-Guy Giraud 09/01/2023



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