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POUR UN NOUVEAU RÉCIT EUROPÉEN



En ce début d'année 2016, la tonalité des commentaires de presse, des analyses des observateurs et des déclarations de nombreux responsables politiques au sujet de l'UE est particulièrement négative - voire carrément catastrophiste.

Une sorte de consensus semble s'établir sur le fait que l'Union traverse "la plus grave crise de sa (brève) histoire" - une crise qui mettrait en question son existence même, du moins sous sa forme actuelle.

De la "fin de l'ordre européen" à la "désintégration du projet européen"...

Dans son ouvrage "World Order" de 2014 (voir note), Henry Kissinger avait - avec un certain détachement garant de l'objectivité, sinon de la justesse, de son analyse - posé la question de la "fin de l'ordre européen" (matérialisé par l'UE). Sans trop les

expliciter, il avait souligné d'une part la gravité à court terme des désordres socio-économiques que provoquerait une implosion de cet ordre et, d'autre part, le risque géo-politique qu'un tel "vide" présenterait ensuite pour l' "ordre international" tout entier.

Parmi les analyses du même genre qui se sont multipliées, une des plus récentes s'intitule "A crisis without end : the disintegration of the European project" (1) et émane de chercheurs de l'Université de Cambridge et ... du think tank d'Europa Nova. Elle compare le phénomène de "désintégration" de l'UE avec celui de l'Empire austro-hongrois, de l'Union soviétique et de l'ex-Yougoslavie ...

En très résumé, cette analyse "prévoit" qu'après une dizaine d'années de crise sans solution durable, l'UE serait progressivement saisie de paralysie avant de tomber dans un véritable état d'urgence qui conduirait à la fois à un retour au "power politics" entre les États

membres puis à leur détachement de l'UE - le tout dans une atmosphère de nationalismes renaissants et exacerbés.

Quelques explications, mises au point et pistes de réflexion

Si nous laissons aux lecteurs le soin d'apprécier la justesse, la pertinence et l'objectivité de cette analyse, on peut cependant utiliser l'occasion de cet énième version d'"European gloom and doom" - faite par compilation d'éléments négatifs pas forcément reliés les

uns aux autres - pour attirer brièvement et schématiquement l'attention sur les points suivants :

  • la plupart des "crises de l'UE" ainsi répertoriées (2) trouvent en fait leur origine en dehors de celle-ci - soit dans l'ordre international soit dans l'ordre interne de certains États membres. Si elles impactent effectivement l'UE, c'est surtout parce que celle-ci n'a pas su se doter en temps utile des moyens - notamment institutionnels - d'y faire face. Depuis une dizaine d'années, le nécessaire renforcement politique de l'UE a sans cesse été renvoyé au "long terme" - y compris dans certains milieux pro-européens. La priorité a été donnée à des mesures palliatives d'urgence visant, sous prétexte de "réalisme", au colmatage de brèches de plus en plus nombreuses plutôt qu'au renforcement global de l'édifice (cf. l'opposition entre les "pompiers" et les "architectes").

  • le récit des "Cassandre" a totalement oblitéré la réalité du travail permanent de l'UE dans une multitude de domaines, au bénéfice direct ou indirect des citoyens européens. La simple lecture, par exemple, du Bulletin quotidien d'Agence Europe donne une idée du fourmillement extra-ordinaire de l'activité de "Bruxelles" - qu'il s'agisse d'agriculture, d'environnement, de transport, d'énergie, de santé, de protection des consommateurs, de développement régional et social, de cohésion monétaire et économique, etc ...Un activisme qui sert d'ailleurs d'argument - hélas avec quelque succès - aux courants euro-sceptiques.

  • cette réalité a aussi - surtout ? - été oblitérée par l'absence coupable de "communication" (information/explication/justification/ défense/promotion/débat/...) de la part du "Gouvernement européen" cad de ceux qui sont les initiateurs, les auteurs - et donc les responsables, au sens noble du terme - de ces politiques. Aucun gouvernement moderne ne peut se soustraire durablement à cette obligation de communication (permanente et organisée) - sans laquelle il perdra vite le contact avec ses administrés ainsi que leur soutien et même, à terme, sa légitimité. Dans l'UE, cette fonction échoit naturellement en grande partie à la Commission. Pour différentes raisons - qui mériteraient un examen approfondi - elle n'a pas été prise en charge (3).

Le besoin d'un nouveau narratif européen

Plus généralement, il manque à l'UE un "narratif" positif de sa raison d'être et de son projet. Il lui manque un argumentaire fort et raisonné de ses "fondamentaux". Il manque un "récit" actualisé, remis à jour, de l'entreprise européenne, une nouvelle explicitation de la nature et de l'importance de l' "ordre européen".

Un récit qui ne se limite pas - comme c'est souvent le cas - aux seuls risques que comporterait la destruction de cet ordre ( le "coût de la non-Europe") mais qui mettrait en exergue les aspects positifs - la "valeur" - du projet : unité, solidarité, fraternité, brassage parental et relationnel, culture commune, espace commun, etc ... En bref, tous les éléments d'une sorte de "nationalisme européen", au sens noble du terme, qui donnerait une légitimité - une âme ? - à l'infrastructure (Institutions et politiques communes) de l'"État" européen. Mais qui prendra en charge ce récit ?

On dit souvent que la construction européenne progresse "à la faveur" des crises qu'elle traverse, cad dans une sorte de fuite en avant mécanique, provoquée plus par la contrainte des évènements et des réalités objectives que par une vision, une volonté positive - voire un "désir" - d'union et de solidarité. Il s'agit là d'un concept négatif et dangereux : à force de côtoyer l' "abîme" plutôt que de le franchir, on risque fort d'y être finalement précipité.

Jean-Guy Giraud 09 - 01 - 2016

(1) "A crisis without end"

(2) les auteurs font naturellement allusion au Grexit, Brexit, à la crise des réfugiés, à la situation en Pologne, Hongrie, République Tchèque, à l'euroscepticisme croissant de l'opinion publique dans l'ensemble des États membres, etc ...

(3) parmi les priorités de JC Juncker au début de son mandat, figurait la refonte de la politique de communication de la Commission et des services concernés, replacés directement auprès de la Présidence. Les résultats de cette réforme ne sont guère perceptibles. Il semble que, là aussi, la critique euro-sceptique ait joué un rôle dissuasif.


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