Le 19 Juin 2022, les électeurs français pourraient - selon les sondages - élire une majorité de parlementaires appartenant à la nouvelle coalition « NUPES » (Nouvelle Union Populaire Ecologiste et Sociale).
Après les scores obtenus par les candidats présidentiels de l’extrême gauche (Mélenchon) et droite (Le Pen), le scrutin législatif pourrait ainsi exprimer la protestation d’une forte partie de l’électorat contre non seulement une perte de pouvoir d’achat mais aussi contre une situation d’injustice sociale.
Dans une certaine mesure, cette protestation concerne également l’Union européenne. Les dirigeants de la NUPES l’ont en effet directement mise en cause dans leur déclaration commune - au point de prôner « la désobéissance « à ses règles (1) .
Si bien que l’arrivée au pouvoir d’une majorité parlementaire et d’un gouvernement eurosceptiques seraient susceptibles d’affecter gravement l’engagement européen de la France et le fonctionnement de l’UE.
Comment en est-on arrivé là ?
Parmi les principales raisons du vote protestataire figure effectivement un sentiment plus ou moins diffus d’injustice sociale, matérialisée par le décalage croissant des revenus et des fortunes entre un petit groupe de citoyens et la majorité de la population. Plus gravement, ce décalage a pour effet de marginaliser une classe entière de gens vivant aux franges ou en dessous du seuil de pauvreté.
Ce phénomène est ainsi résumé par l’économiste Thomas Piketty pour ce qui concerne l’écart le plus spectaculaire, celui des fortunes :
« Entre 2010 et 2021, les 500 plus grandes fortunes françaises sont passées, d’après le magazine Challenges (peu suspect de gauchisme), de 200 milliards à près de 1 000 milliards, c’est-à-dire de 10 % du PIB à près de 50 % du PIB. La hausse est plus forte encore si l’on élargit la focale et que l’on examine les 500 000 plus grandes fortunes (1 % de la population adulte), qui dépassent aujourd’hui les 3 000 milliards d’euros (6 millions d’euros par personne, selon la World Inequality Database), contre à peine 500 milliards pour les 25 millions les plus pauvres (50 % de la population adulte, détenant chacun 20 000 euros en moyenne). »
Or, jusqu’ici du moins, ni le candidat élu ni le parti présidentiel et ses alliés n’ont su ni voulu reconnaître ce phénomène - et encore moins proposer des mesures pour remédier à ses causes et à ses conséquences (2).
Et cette forme d’aveuglement, d’indifférence voire de négation d’un grave déséquilibre interne risque - le 19 Juin 2022 - de coûter cher non seulement à l’ancienne majorité mais aussi à son projet européen.
Une fois de plus, le rôle essentiel de la France dans la construction européenne serait ainsi indirectement affecté par une gestion politique maladroite de problèmes domestiques.
Il ne reste que peu de temps à la majorité sortante - et au Président ré-élu - pour tenter de redresser la barre, c’est à dire :
reconnaître la nécessité de stopper cette disparité exacerbée des fortunes et des revenus et annoncer des réformes et des mesures appropriées (notamment sur le plan fiscal),
montrer que le projet européen n’est pas la cause de ce phénomène mais constitue au contraire une des solutions pour y pallier (notamment en favorisant la croissance économique et la stabilité financière).
Lors du referendum de 2005 sur le projet de Constitution européenne, le rejet des citoyens français avait été largement motivé par une opposition interne aux politiques économiques et sociales menées par le Président et le Gouvernement de l’époque - ainsi d’ailleurs que par la maladresse de leur communication sur l’Europe.
Il serait fâcheux qu’une telle erreur se répète en 2022 - alors même qu’une multiplicité de crises d’une intensité inédite exige plus que jamais le renforcement de l’unité et de la solidarité européennes dont la France est une des principales garantes.
Jean-Guy Giraud 08 - 05 - 2022
______________________________________
Comments