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MICHEL BARNIER ET LA QUESTION MIGRATOIRE



On a pu constater à plusieurs reprises quelques lacunes, imprécisions voire maladresses dans la communication du pré-candidat Michel Barnier. Celui-ci n’étant pas un habitué du milieu politico-médiatique parisien, il est compréhensible que ses premières interventions prêtent le flan à de faciles critiques ou caricatures.


Mais - dans la mesure où Michel Barnier serait, sur le plan européen, le plus qualifié et le plus expérimenté des éventuels candidats de l’opposition - il serait souhaitable que ses positions dans ce domaine soient énoncées avec plus de clarté.


C’est notamment le cas en matière de politique migratoire au sujet de laquelle il a été paradoxalement accusé d’avancer des propositions peu conformes - voire contraires - aux principes et au droit européens.


Nous invitons donc les lecteurs à prendre connaissance d’un excellent article d’Emmanuel Beretta paru le 15/10/202 (1). Se substituant en quelque sorte au service de presse du candidat, ce journaliste explique le raisonnement qui conduit Michel Barnier à proposer un referendum visant à compléter la Constitution française en matière de contrôle de l’immigration (2).



Les données factuelles du problème

Voici en résumé les prémices de ce raisonnement :

  • la France est confrontée (comme les autres Etats membres de l’Union) a une poussée migratoire croissante et multi-forme (3),

  • à ce jour, l’UE n’a pas été en mesure d’adopter une politique et une législation migratoires susceptibles d’y faire face,

  • plusieurs Etats membres ont donc recouru à des mesures nationales d’endiguement et de contrôle des flux,

  • mais ces mesures ont parfois été censurées par le juge européen sur la base - non pas tant du respect d’un droit positif lacunaire ou obsolète - mais sur celle du respect de certains principes et valeurs reconnues par les traités,

  • il apparait nécessaire de doter sans tarder la France des moyens juridiques adéquats de protection qui soient compatibles tant avec la Constitution française qu’avec ces principes et valeurs de base résultant des textes et de la jurisprudence européens.


Un moratoire légitimé par une révision constitutionnelle

Pour y parvenir, le candidat propose une mesure de caractère “exceptionnel” au sens juridique du terme : un "moratoire sur l’immigration" de trois ou cinq ans mis en oeuvre par diverses mesures (non spécifiées à ce stade) de contrôle et de limitation des entrées de migrants sur le territoire national.


Ce moratoire devrait être basé sur une norme juridique supérieure, en l'occurrence la Constitution, s’imposant ainsi tant au législateur qu’au juge nationaux. En somme, une sorte d’article 16 concernant spécifiquement le domaine migratoire (notre interprétation).


Pour cela, un ajout - spécifique et encadré - à la Constitution serait nécessaire. Il y serait procédé par voie référendaire.



La conformité avec l’ordre juridique européen

Il resterait à déterminer si les mesures qui seraient prises en vertu de cet ajout seraient ou non conformes au droit européen en vigueur - dont les limitations ont été évoquées ci-dessus.


Il est prêté au candidat l’opinion que ce “bouclier constitutionnel” permettrait de dépasser l’ordre juridique européen et de se prémunir notamment contre d’éventuelles censures de la Cour de Justice de Luxembourg. M. Barnier est trop fin connaisseur du droit européen - et notamment du délicat équilibre entre la Constitution et les traités - pour en être véritablement convaincu. Mais il est clair que l’élévation au niveau suprême d’une norme nationale lui assure un poids accru auprès du juge européen.


Et ce d’autant plus que, selon M.Barnier, le “moratoire” aurait aussi un caractère temporaire. Il serait destiné à combler une sorte de vide juridique au niveau européen - étant entendu que les compétences de l'UE en matière migratoire restent de toute façon limitées par les traités.



Des mesures fondamentales ou plus limitées ?

Il demeure que les recours au referendum et aux modifications constitutionnelles sont des affaires très délicates et qu’il convient de ne les aborder qu'avec beaucoup de prudence et "d’une main tremblante” - en particulier lorsque sont en jeu des questions aussi brûlantes que l’immigration ou la politique européenne.


Certains pourront donc estimer que des mesures moins spectaculaires et plus ciblées/limitées seraient peut-être préférables qui pourraient d’ailleurs être basées sur (et légitimées par) l’existence de “circonstances exceptionnelles”.



La paralysie de l’UE met les Etats dans la seringue

Les partisans d’un traitement européen de la crise migratoire - le seule niveau vraiment efficace - se désoleront surtout de la paralysie de l’UE27 dans ce domaine comme dans bien d’autres. Paralysie qui conduit à traiter cette question au niveau national ou - au mieux - intergouvernemental. Et il n’est pas certain que la durée d’un “moratoire” de trois à cinq ans soit suffisant pour combler cette carence.


Ainsi pris dans la seringue migratoire, les Etats membres de l’UE doivent improviser. Ils n’ont pas tous la même exposition géographique au phénomène migratoire ni le même souci de protection des personnes concernées.


Dans un tel contexte - et en attendant le Godot d’une politique migratoire commune - le rôle de l’Union est de les assister financièrement et physiquement (Frontex). Mais c’est aussi de veiller (CJE) au respect des droits les plus élémentaires de populations chassées en masse et à la recherche d’un refuge au moins provisoire . D’une manière ou d’une autre, cet objectif demeure prioritaire quels que soient les moyens utilisés.



Jean-Guy Giraud 18 - 10 2021


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(3) la plus récente évolution se situe actuellement sur la frontière biélorusse où le gouvernement en place organise un véritable flot de migration de toutes origines (y compris de ses propres ressortissants) vers les Etats membres riverains.

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