L’adoption du budget annuel constitue un moment et une étape majeurs dans le fonctionnement des régimes et systèmes parlementaires démocratiques.
D’abord parce que la fixation des ressources et des dépenses détermine la nature et l’ampleur des activités publiques - lesquelles influent également sur la vie économique et financière de l’entité concernée.
Mais aussi parce que le budget est un reflet des grandes priorités politiques arbitrées par les différentes composantes de l’autorité budgétaire.
Ceci explique pourquoi l’adoption d'un budget annuel peut souvent s’avérer difficile en cas de désaccords politiques majeurs ou de crise institutionnelle ouverte. L’expérience en a été faite à de nombreuses reprises dans plusieurs des États membres de l’UE - et il se trouve que la France y est actuellement confrontée pour le vote du budget 2025.
Le système budgétaire européen (1) - inspiré à l’origine des systèmes nationaux - n’a pas échappé à ce risque.
Dans la version initiale de ce système, des désaccords répétés entre les deux branches de l’autorité budgétaire (Parlement et Conseil) ont souvent compliqué la procédure d’adoption du budget voire provoqué des retards ou même des rejets, souvent présentés comme des « crises politiques européennes ».
Plusieurs révisons des traités (1970, 1975) ont permis de remédier partiellement à ces problèmes - jusqu’au Traité de Lisbonne (entré en vigueur en 2009) qui a établi le système actuel. Système qui s’est avéré plutôt performant pour les quinze derniers exercices - abstraction faite d’objections d’ordre constitutionnel (toujours en débat) sur l’équilibre des pouvoirs entre le Parlement et le Conseil (européen).
Il peut donc être utile de rappeler ici à grands traits les principales caractéristiques de ce système - tout en laissant le lecteur effectuer lui-même toutes les comparaisons ou analogies éventuelles avec les diverses procédures en vigueur dans tel ou tel État membre.
LE CADRE FINANCIER PLURIANNUEL
Pour une période de 7 ans, chaque budget annuel s’inscrit dans un cadre prédéfini et contraignant qui « fixe les montants des plafonds annuels des crédits par catégorie de dépenses correspondant aux grands secteurs d’activité de l’Union ».
Ce cadre est adopté par le Conseil (en fait après accord au sein du Conseil européen) statuant à l’unanimité. Il doit être approuvé par le Parlement statuant à la majorité de ses membres.
Il peut être révisé à mi-parcours selon la même procédure.
On voit donc que, dès le départ, la procédure annuelle d’adoption du budget est guidée par des perspectives pluriannuelles destinées à assurer une certaine vision à moyen terme et une certaine continuité de l’action publique.
Ce système a également l’avantage d’insérer les débats annuels dans un cadre fixe et de limiter la répétition annuelle de conflits entre les parties - au prix, il est vrai, d’une certaine limitation de leurs prérogatives.
LE PROJET DE BUDGET
C’est à la Commission que revient l’initiative de proposer un projet de budget sur la base duquel se déroulera la procédure entre le Parlement et le Conseil.
Celle-ci assistera ensuite les deux branches politiques de l’autorité budgétaire dans leurs négociations et pourra, si nécessaire, modifier ses propositions en cours de procédure.
Le projet de budget européen émane donc d’une instance indépendante, neutre politiquement, et uniquement motivée par les besoins objectifs et communs de l’Union.
LE VOTE DU BUDGET
La procédure se déroule dans un délai contraignant de trois mois (Septembre/Décembre).
Elle se déroule en quatre étapes alternant lecture du Conseil puis du Parlement, réunion d'un comité paritaire de conciliation puis adoption.
Ce système de navettes - lui aussi soumis à des délais précis - permet deux lectures et deux votes successifs de chaque Institution.
En cas de désaccord, un comité de conciliation tente de rapprocher les positions. Si le désaccord persiste, la Commission peut être invitée à présenter un nouveau projet.
Le budget ne peut être adopté que si ces deux organes trouvent un accord sur un projet commun - chacun conservant la possibilité de rejeter explicitement l’ensemble du budget.
Toutefois, selon certaines conditions et dans certaines limites, le Parlement peut statuer définitivement.
À noter que, si l'une des deux Institutions ne parvient pas à se prononcer dans le délai prévu, le budget est réputé adopté dans la forme voulue par l’autre.
Il revient in fine au Président du Parlement de constater, le cas échéant, que le budget est définitivement adopté.
LES « DOUZIÈMES PROVISOIRES »
En cas de rejet explicite du projet de budget ou de non-adoption en début de l’exercice concerné, le mécanisme des « douzièmes provisoires » s’enclenche automatiquement.
Cela signifie que les dépenses peuvent tout de même être effectuées mensuellement et par chapitres - mais dans la limite des crédits ouverts dans le budget précédant et des crédits figurant au projet de budget.
Toutefois, le Parlement et le Conseil peuvent s’accorder pour dépasser ces plafonds sur proposition de la Commission.
En résumé, ce mécanisme comporte - au moins dans ses principes directeurs - plusieurs avantages :
il fixe un cadre pluriannuel de référence
il confie à une autorité indépendante la responsabilité d’établir un projet de base
il assure un équilibre paritaire entre les deux détenteurs de l’autorité budgétaire et facilite la conciliation
il associe rigueur et souplesse dans les modalités de vote
il prévoit un système de sauvegarde pour assurer la continuité du fonctionnement du service public en cas d’échec.
Lors de ce quatrième semestre 2024, les votes des budgets européen et nationaux pour 2025 se dérouleront en parallèle.
Peut-être certains des principes relevés ci-dessus pourront-ils inspirer aux autorités nationales - et notamment à celles en proie à des risques de blocage - des idées de réformes susceptibles d’améliorer leurs propres systèmes.
Jean-Guy Giraud
08 / 09 / 2024
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