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ASSISTONS NOUS À LA FIN DE L'ACTUEL "ORDRE EUROPÉEN" ?



Assistons nous à la fin de l'équilibre géo-politique européen issu de la deuxième guerre mondiale ?

La question est posée par Henry Kissinger

C'est la question que pose Henry Kissinger dans son dernier ouvrage intitulé "World Order" (2014), dans lequel il propose "a deep meditation on international harmony and global disorder".

Il consacre les deux premiers chapitres au "European- Balance-of-Power System... and its end".

Il décrit d'abord, dans un saisissant raccourci historique, les systèmes d'équilibre des pouvoirs qui se sont succédés au cours des siècles sur le continent européen : l'Empire Romain, l'Empire Carolingien, le Système Westphalien, le Congrès de Vienne, le Traité de Versailles... pour en arriver au "Post War European Order".

Henry Kissinger explique comment les grandes puissances et les petits États, qui ont composé l'Europe dans ses différentes configurations au cours des siècles, n'ont pu co-exister plus ou moins pacifiquement que grâce à des systèmes changeants et fragiles d'équilibre des pouvoirs.

Il explique comment ces systèmes ont été successivement détruits par la rupture des alliances, elle même causée par la domination d'une des puissances, les querelles entre celles-ci, l'émergence d'idées libérales, révolutionnaires, démocratiques, nationalistes ou fascistes.

Il rappelle surtout le terrifiant coût humain et économique (révolutions et guerres) qu'ont à chaque fois provoqué ces ruptures - avant qu'un nouvel ordre n'ait pu être établi.

L'"Ordre Européen" et son affaiblissement

Henry Kissinger retrace ensuite comment, à l'issue de la deuxième guerre mondiale - qui a vu s'effondrer le système mis en place par le Traité de Versailles - un nouvel équilibre des pouvoirs en Europe ("A New European Order") a été bâti sur la base d'une "ever closer union of Europe's constituent peoples", matérialisée par la Communauté puis par l'Union Européennes.

Mais - après avoir rendu hommage à un "système" qui a tout de même procuré paix, démocratie et progrès économique à trois générations - il relève les graves faiblesses internes qui menacent aujourd'hui son existence même : "monetary union side by side with fiscal dispersion" - "bureaucracy at odds with democracy" - "cosmopolitan identity in contention with national loyalties" - "east-west and north-south divides" - "no clear understanding of the "European project"...

(Il regrette, au passage, que l'UE ait "considéré sa propre construction interne comme son objectif géopolitique ultime" - plutôt que de participer activement à un nouveau "world order" basé notamment sur ... l'Alliance Atlantique.)

Une inquiétante accélération de l'histoire

Nul doute que, si Henry Kissinger avait rédigé son livre en cette fin d'année 2015, son diagnostic sur l'actuel "European Order" aurait été plus pessimiste encore.

En guère plus d'un an, en effet, se sont aggravés ou sont apparus de bien plus graves facteurs internes et externes de désunion et de déstabilisation du système : le blocage avéré de toute réforme, l'euroscepticisme croissant de l'opinion, la résurgence du nationalisme et du souverainisme, la montée des partis extrémistes, les effets de la crise migratoire et du terrorisme, le retrait britannique, l'impérialisme russe, le détachement américain ...

Mais le plus grave a peut-être été l'"absence de réaction collective - et de vision claire de l'avenir de l"ordre européen” - de la part de ses dirigeants (1).

La fin de l'"Ordre Européen" ou le saut dans l'inconnu

On l'aura compris : plus qu'un hommage mérité au talent de l'écrivain-historien-diplomate Henry Kissinger, on veut ici attirer l'attention sur les points suivants, que le regard extérieur du personnage permet de mieux appréhender à l'échelle de l'histoire:

  • l'UE est beaucoup plus qu'une union douanière ou une machine administrative : c'est en fait le socle d'un "Ordre Européen" continental - héritier des précédents et qui assure depuis plus de soixante ans un équilibre géo-politique pacifique et démocratique.

  • la rupture de cet équilibre provoquerait, dans un premier temps, de graves désordres diplomatiques, politiques, économiques et sociaux au sein de l'Europe - mais aussi, dans une certaine mesure, une déstabilisation du "World Order" lui-même,

  • le vide ainsi créé susciterait ensuite immanquablement des tentatives de création d'un autre "Système Européen" - issu d'un nouveau et imprévisible rapport de forces - que personne n'est en mesure d'imaginer, mais qui risquerait fort de n'être plus basé sur les mêmes valeurs humanistes que l'actuel : ce serait un véritable saut dans l'inconnu.

Certes, l'annonce de la fin de l'"ordre européen" est sans doute prématurée. Les stabilisateurs automatiques de l'"acquis" fonctionnement toujours. Le système peut être adapté et renforcé.

À condition que les dirigeants et l'opinion prennent rapidement la mesure de son affaiblissement et de sa vulnérabilité - ainsi que des conséquences de son éventuelle disparition.

Jean-Guy Giraud 09 - 12 - 2015

(1) Plusieurs dirigeants nationaux ou européens ont toutefois au moins reconnu, publiquement, l'état de crise

grave de l'UE :

- "C'est l'Union de la dernière chance" J.C. Juncker

- "No one can say whether the EU will still exist in this form in ten years time" M. Schultz

- " Geopolitics is back in Europe" D. Tusk


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