Nous mettons ici parfois l’accent sur la responsabilité des gouvernements et des administrations nationales dans la mise en oeuvre déficiente des politiques communes européennes. L’actualité nous offre l’occasion d’exposer un "cas d’école" qui concerne la gestion déficiente de la PAC par la France.
La gestion déficiente de la PAC en France
La mise en oeuvre par la France de la politique agricole commune (PAC) vient de faire l’objet de deux rapports sévères de la Cour des comptes de la rue Cambon.
1. Le premier rapport de Juin 2018 (1), établi à la demande du Sénat, est de nature budgétaire et concerne “ le montant anormalement élevé de corrections financières à la suite de refus d’apurement des comptes français par la Commission “ (environ 2,5 milliards d’Euros sur la période 2008/2015). C’est à dire que l’UE a refusé de verser (ou demandé le remboursement) d’un montant exceptionnellement important d'aides pour cause d’irrégularités de natures diverses. C’est donc sur le budget général de l’État que ces dépenses ont dû être imputées.
Selon la Cour, ces refus d’apurement sont la conséquence de l’inadaptation de la règlementation française et de l’insuffisance des contrôles.
Si le Ministère de l’agriculture est considéré comme le principal responsable de cette situation, la complexe répartition des compétences entre l’État, les régions et divers organes administratifs dans la chaîne de paiement des aides est pointée du doigt.
Mais la Cour relève aussi les problèmes posés par la diversité des dispositifs d’aides mis en place par la PAC elle-même. Ceci tiendrait au fait “que les aides ont été adaptées à la diversité et à la spécificité des situations des bénéficiaires ainsi qu’aux particularités régionales” aboutissant ainsi à une multiplication de programme spécifiques.
2. Un deuxième rapport d’Octobre 2018 (2) - en fait un “référé" qui exige une réponse rapide du Ministre - est plus détaillé mais aussi plus “explosif”. Il concerne “la répartition des aides directes du fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et leurs effets” sur la période 2008/2015) - soit un montant de près de … 8 milliards d’euros par an. .
La conclusion générale de ce rapport est sévère : ces aides “souffrent d’une insuffisance d’évaluation et de pilotage”, leur mode de répartition est "un facteur de fortes inégalités et n’a plus de justification pertinente” et leurs effets sont, au mieux, "incertains au regard du revenu des agriculteurs, de l’économie des exploitations ou de l’environnement"
Les “inégalités” répertoriées sont particulièrement frappantes, les plus grandes structures recevant une aide moyenne anormalement plus élevée que les plus modestes - et certaines productions ( notamment … betteravière) étant beaucoup plus aidées que d'autres (par exemple bovins laitiers).
Le résultat - en fait bien connu - est une forme de paupérisation des petits agriculteurs (dont 30% ont un revenu annuel inférieur à 9.500 euros) alors que les plus grandes exploitations, déjà profitables, ont ainsi encaissé “un supplément de revenu” au bénéfice d’exploitants bénéficiant déjà de hauts revenus individuels.
La Cour note au surplus que ces derniers ont consacré une part excessive de ces aides à “des investissements excessifs" (machines), à l’utilisation "d’intrants de synthèse” (engrais et pesticides) et à la "substitution du capital au travail" (main d’oeuvre).
De même, une part des aides aurait été "captée par l’amont et l’aval des filières” - cad par des intervenants non directement liés à la production elle-même.
Surtout, la Cour s’étonne de l’absence d’évaluation globale des effets des aides européennes - responsabilité que se renvoient réciproquement les autorités nationales (Ministère de l’agriculture) et européennes (Commission) …
Quelles “leçons”, de caractère très général , peut-on tirer de cet exemple?
Peut-être essentiellement une contradiction:
d’une part les gouvernements exigent une marge croissante d’autonomie dans la gestion des politiques communes (c’est également vrai par exemple pour les fonds structurels - régional et social). Autonomie que la Commission se voit contrainte de leur accorder pour des raisons politiques mais aussi pratiques : l’extrême diversité des situations, des structures et des niveaux de développement dans les différents États de l’Union élargie,
d’autre part cette responsabilité est très diversement assumée par les autorités nationales, même dans les pays les plus développés comme la France. Et ce d’autant plus qu’il s’agit de la gestion de crédits “extérieurs”, ne provenant pas directement des budgets nationaux. Cette gestion peut ainsi être affectée par de véritablement détournements de fonds ou, plus prosaïquement, par des méthodes et des circuits exagérément complexes (phénomène analogue à celui de la sur-transposition des directives européennes).
Cette contradiction est, pour l’UE, particulièrement pré-occupante dans la mesure où les dépenses agricoles et de “cohésion" représentent près des deux tiers du budget européen annuel de 145 milliards d’euros - équivalant à 1% du PIB des 28 États membres.
Dans la mesure aussi où l’image de l’UE dans le public peut en être affectée : si les gouvernements occultent parfois l’origine européenne des aides, ils souvent plus prompts à rejeter sur l’UE la responsabilité d’une mauvaise gestion des fonds - voire des irrégularités ou fraudes auxquelles elle peut donner lieu.
Quadrature du cercle ? La Commission a bien identifié cette problématique et a tenté d’en tenir compte dans ses propositions de révision de certaines politiques communes en liaison avec le prochain cadre financier pluri-annuel de l’UE (2021/ 2027). Il reste à voir dans quelle mesure les États (une majorité ou parfois l’unanimité) accepteront de s’engager dans cette réforme.
Dans les situations et dispositions actuelles de nombreux de ces États, le pari est loin d’être gagné.
Jean-Guy Giraud 11 - 01 - 2019
(2) https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-01/20190110-refere-S2018-2553-aides-directes-FEAGA.pdf