( En Février 2024, lors de l’offensive israélienne sur Gaza, nous constations l’incapacité de l’Europe à exercer une quelconque influence sur un conflit qui, déjà, menaçait de muter en une véritable crise régionale au Moyen Orient - voire à l’échelle internationale. Nous prenions aussi acte de l’impuissance de l’Europe à défendre non seulement le droit international et humanitaire mais, plus gravement encore, la légitimité et l’autorité des instances onusiennes (hier l’UNRWA et aujourd’hui la FINUL).
Force est de constater qu’à ce jour - en dépit de l’extension prévisible du conflit et de l'invasion en cours du Liban par l’armée israélienne - la seule réaction de l’Union européenne consiste en des déclarations répétées de son Haut Représentant, souvent même effectuées à titre personnel faute d’accord au sein du Conseil.
Huit mois après, nous reprenons ci-dessous cette analyse de Février 2024 ainsi que sa conclusion : face à l’échec des procédures prévues par le Traité pour une réaction commune de l’Union, le retour à l’intervention diplomatique (ou même militaire) séparée ou conjointe de certains États membres devient légitime voire indispensable.)
JG Giraud
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14 février 2024
QUAND L'UNION SE DIVISE SUR GAZA
Depuis l’offensive de l’armée israélienne sur la bande de Gaza - provoquée par les massacres des terroristes du Fatah - l’Union européenne s’est avérée incapable de prendre position sur une réplique militaire pourtant d’ampleur et de nature exceptionnelles, menée par une armée régulière, causant un grand nombre de victimes civiles et la dévastation d’un territoire entier - et susceptible d’être qualifiée de crime de guerre voire de génocide.
Un conflit qui met aux prises un État (Israël) et une population (palestinienne) avec chacun desquels l’Union entretient pourtant de longue date des liens étroits de caractère commercial ou humanitaire.
Une division paralysante et un échec politique et institutionnel
De fait, ni le Conseil européen, ni le Parlement ni la Commission (1) n’ont pu s’accorder même sur une position minimale, à savoir un appel au cessez le feu. Tétanisées par les divisions entre les États membres, ces Institutions semblent même avoir renoncé à débattre du sujet, se limitant à ré-itérer le souhait - le mantra - de plus en plus improbable d'une solution diplomatique basée sur le principe des deux États.
Aux Nations-Unies, ces divisions apparaissent au grand jour lors des votes des résolutions de l’Assemblée Générale - mettant ainsi en évidence l’incapacité de l’Europe en tant que telle à contribuer sinon à la résolution du conflit du moins à la cessation des tueries et des destructions qui déciment une population civile entière.
Cet échec retentissant de la politique étrangère de l’Union est d’autant plus pré-occupant que ce conflit - à l’origine de caractère local - est à présent devenu régional et menace de revêtir une dimension internationale, mettant ainsi potentiellement en jeu des intérêts diplomatiques, stratégiques, économiques... de l’Union. Quelle que soit l’issue du conflit, l’Union pourra difficilement participer aux négociations et accords d’un hypothétique règlement sur lequel elle n’aura donc aucune influence.
Les désaccords persistants entre les États membres sur cette crise risquent ainsi de contaminer leurs positions sur d’autres terrains, d’approfondir leurs divisions sur les relations de l’UE avec l’ensemble du Moyen Orient et avec des puissances majeures tels que les États-Unis ou la Russie. Cette manifestation d’impuissance est susceptible de remettre en question la réalité, la pertinence, la crédibilité de l'Union en tant que puissance capable d’influence sur les relations internationales - ne serait-ce que pour défendre ses intérêts ou même promouvoir ses valeurs. Le silence de l’UE face à cette opération militaire dévastatrice constitue d’autre part un double échec « moral » pour une Europe basée sur une certaine conception de l’ordre international. En ne condamnant ni l’agression en elle-même ni les massacres perpétrés, l’Union perd un peu de son âme et de sa vocation humanitaire.
En ne soutenant pas les tentatives d’apaisement émanant tant du Secrétaire général des Nations-Unies, M. Antoine Guterrez, que de son propre Haut Représentant, M. Josep Borrell (notamment au sujet de l’UNRWA) l’Union participe de facto à l’affaiblissement de l’autorité de ces instances et des principes majeurs de la Charte des NU.
En interne, cet échec a pour effet de briser l’illusion - ou du moins de mettre en évidence le caractère relatif - des mécanismes institutionnels sophistiqués mis en place progressivement pour développer et soutenir une politique étrangère commune. Lorsque les divisions entre États membres sont aussi profondes, ces mécanismes s’avèrent inopérants. Dans ce cas particulier, même l’utilisation de procédures de vote majoritaire n’aurait pas permis une position et une réaction communes.
De multiples raisons
Comment en est-on arrivé là ? Les raisons - sinon les justifications - sont multiples. On peut citer (sans les développer) les suivantes:
la situation particulière de l’Allemagne qui s’interdit - « par raison d’état » - toute critique vis à vis d’Israël
les relations très étroites (notamment économiques) qui lient certains États membres à Israël
la crainte très répandue - tant de la part des autorités qu’au sein de la société civile - de voir toute initiative ou critique de l’offensive israélienne perçues comme teintées d’anti-sionisme voire d’anti-sémitisme
Et plus largement :
le soutien politique de principe d’un État allié puissant qui - au coeur du Moyen Orient - constitue un poste avancé du bloc occidental face à des pays hostiles comme l’Iran ou la Syrie
le sentiment d’impuissance face à un affrontement historique qui a défié - depuis trois quart de siècle - toutes les tentatives de médiation
le caractère géographiquement circonscrit - pour le moment du moins - d’un conflit qui revêt le caractère d'une guerre civile interne.
Aucune de ces raisons ne peut cependant justifier l’absence de réaction de l’Union et de ses États membres (à l’exception de deux ou trois comme l’Espagne, l’Irlande ou le Luxembourg) face au spectacle - mondialement médiatisé - des massacres en cours perpétrés sans merci par une armée régulière et en apparence assumés par une opinion publique nationale pourtant acquise aux valeurs humaines. Inaction il est vrai très largement partagée - pour des motifs similaires à ceux exposées ci-dessus - par la plupart des États et sociétés de type occidental, au premier chef par les États-unis et le Royaume Uni.
Les leçons à tirer
Quelles leçons l’Union pourra-t-elle tirer de cette malheureuse expérience ? De prochaines échéances - et notamment la perspective d’arrivée au pouvoir d’une administration Trump aux États-Unis (2) - devraient l’inciter à prendre acte de cet échec et à ré-examiner certains volets de son appareil diplomatique et de défense. Au delà de la révision nécessaire de ses relations avec Israël, elle devra plus généralement envisager les cas de figure dans lesquels une partie seulement des États membres décident de prendre partie dans un conflit diplomatique, dans une intervention humanitaire voire dans « une opération de maintien de la paix ».
Le Traité lui-même prévoit et encadre de telles hypothèses - par nature exceptionnelles. Le conflit de Gaza montre toutefois qu’elles peuvent se produire au sein de l’UE27 et plus encore dans l’avenir au sein d'une Europe rendue toujours plus « diverse » par de nouveaux élargissements. L’affaire est complexe car elle met en jeu l’unité et donc la force de l’ensemble. Mais l’ignorer conduirait à un affaiblissement plus grave encore. Il appartiendra aux Institutions et aux États membres - après les renouvellements de 2024 - de se confronter à cette question existentielle.
Jean-Guy Giraud
13 - 02 - 2024
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