«L’Europe ne peut pas accueillir toute la misère du monde»
En 1989, Michel Rocard (Premier Ministre) utilisa à plusieurs reprises ces termes - faisant référence à la France et principalement au flux de demandeurs d’asile en provenance du Maghreb. Tout en ajoutant qu’ « elle devait en prendre fidèlement sa part » (1).
Plus de trente années après, le problème se pose à présent au niveau européen et concerne un flux exponentiel de demandeurs d’asile en provenance du monde entier .
À l’heure où l’UE tente une fois de plus - avec grande difficulté - de s’accorder sur une « politique commune des migrations » (2), il peut être utile de rappeler quels sont les pays d’origine des personnes concernées. La détermination de cette origine pourrait en effet permettre de mieux appréhender les causes de ces migrations et, le cas échéant, de tenter d’influer sur celles-ci.
Tant les voies d’entrée des demandeurs d’asile en Europe que les Etats membres de (première) destination sont assez précisément recensés par les organes responsables. Il n’en est pas toujours de même pour le relevé géographique des pays d’origine des migrants (3).
Les derniers chiffres connus (2022) font état de près d’un million de personnes (962160) - hors citoyens européens - ayant déposé une demande d’asile dans l’ensemble des 27 Etats membres.
Il apparait tout d’abord que neuf pays fournissent à eux seuls environ 55% du total :
(Par ordre décroissant, à lire sur la cartographie ci jointe, chiffres arrondis au ‘000)
Syrie : 135
Afganistan : 124
Turquie : 52
Venezuela : 50
Colombie : 43
Pakistan : 37
Bangladesh : 34
Irak : 30
Inde : 26
Total 531 (55%)
On voit ainsi qu’une majorité des demandeurs d’asile sont des citoyens d’ « Etats faillis » qui fuient en réalité des régimes où règnent persécutions, dictatures, chaos sécuritaire/politique/économique, … On voit aussi que ces États sont éloignés du continent européen et largement étrangers à tout contexte post-colonial vis à vis de l’UE27 (4)
On perçoit aussi - a contrario - que la place des pays africains dans cette liste apparait plus faible qu’il n’est communément perçu (notamment en proportion de la population du continent) :
Maghreb (Égypte, Maroc, Tunisie, Algérie) : 66 (7%)
Afrique Ouest (Nigeria, Guinée, Côte ivoire, Sénégal) : 43 (5%)
Afrique Est (Somalie, Érythrée) : 29 (3%)
Total 138 (14%)
Cette double liste - mais surtout la première - peut inspirer quelques remarques factuelles :
tant la dispersion mondiale que l’immense « réservoir » de potentielles migrations mettent en lumière l’ampleur du phénomène,
en comparaison, les capacités d’accueil de l’UE - même les plus généreuses - apparaissent presque dérisoires ou symboliques,
pour ces populations, l’Europe demeure toutefois la destination et le havre privilégiés,
les conditions d’un séjour prolongé même d’une faible partie des migrants sont affectées par de forts décalages culturels, sociologiques, linguistiques, religieux…,
Si l’on fait abstraction du facteur climatique, on doit bien constater que ces flux migratoires ont une origine de nature essentiellement politique : l’incapacité des pays d’origine d’assurer les conditions minimales d’ordre et de sécurité permettant la (sur)vie de leurs citoyens. Une incapacité souvent auto-infligée du fait de régimes et de dirigeants trop peu concernés par le sort de leurs populations.
Dès lors, il semble que toute solution durable postule une amélioration drastique de la gouvernance de ces pays.
L’UE s’efforce déjà d'y contribuer par divers moyens diplomatiques mais aussi en liant son (importante) aide économique à la réalisation de réformes politiques. L’expérience montre toutefois que certains régimes de type autoritaire - voire dictatorial - demeurent hostiles à toute réforme et à toute « ingérence étrangère ».
Ces efforts doivent bien sûr être poursuivis, notamment par des pressions accrues exercées au moyen de la politique étrangère de l’UE. Mais il conviendrait de bien situer les origines et les responsabilités de ce phénomène migratoire. L’UE y est largement étrangère : elle n’en est pas la cause et n’en détient pas la solution. Ce constat clairement posé, la vocation humanitaire (et démocratique) européenne lui impose de rechercher tous les moyens à sa disposition pour atténuer autant que faire ce peut les souffrances des personnes concernées.
Jean-Guy Giraud. 28 - 06 - 2023
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(2) voir la proposition de la Commission : https://home-affairs.ec.europa.eu/policies/migration-and-asylum/common-european-asylum-system_en#:~:text=In%202020%2C%20the%20European%20Commission,strengthened%20partnerships%20with%20third%20countries.
(3) migrants/demandeurs d’asile//réfugiés … Ces différentes catégories demeurent imprécises, au moins pour l’opinion publique. Nous utilisons ici une infographie émanant du Conseil qui fournit une cartographie mondiale des « countries of origin of asylum applicants » : https://www.consilium.europa.eu/en/infographics/asylum-applications-eu/
(4) le cas de la Turquie est plus nuancé. Ceux de la Géorgie (28), de l’Albanie (13) et autres pays (pré) candidats à l’UE sont ici exclus - ainsi que celui de l'Ukraine.
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