On sait que - même lorsque le Traité prévoit l’adoption d’une décision du Conseil par un vote à la majorité qualifiée - celui-ci hésite souvent à “passer au vote” tant qu’un consensus/commun accord/unanimité de tous les Etats membres n’a pas été obtenu en amont de la décision elle même.
Cette pratique - de nature politique et non juridique - a pour but d’éviter de “minoriser” les Etats membres hésitants ou récalcitrants et de leur imposer ainsi une décision à laquelle ils ne sont pas favorables mais qu’ils devront tout de même mettre en oeuvre si le Conseil l’adopte par voie majoritaire.
Le report du vote est donc censé permettre la poursuite de négociations internes visant à convaincre les Etats concernés de se joindre finalement à la volonté majoritaire - éventuellement en adaptant la décision pour tenir compte de leurs exigences.
Une telle pratique est devenue de plus en plus courante du fait de l’augmentation du nombre des Etats membres - lequel a entraîné une diversité et un durcissement croissants de leurs positions au sein du Conseil.
(Accessoirement, elle a aussi participé au développement d’une autre pratique, jusqu’ici réservée aux décisions nécessitant un vote unanime : celle des vetos croisés par laquelle un Etat membre subordonne son accord sur un dossier particulier à des concessions faites sur un autre dossier distinct du premier.)
Au total, tout ceci revient à généraliser de facto l’utilisation du droit de veto de chaque Etat membre et à affaiblir voire stériliser la règle du vote majoritaire, base même du processus décisionnel normal du Conseil.
À ce sujet, la CJE vient de rendre un avis de principe dans lequel elle considère que :
“les traités n’interdisent pas au Conseil d’attendre le commun accord (unanimité) avant d’adopter une décision (majoritaire)”
"mais le Conseil ne saurait modifier la procédure de décision (majoritaire) en la subordonnant à la constatation préalable d’un tel commun accord”
Ainsi, tout en acceptant que le Conseil puisse prolonger les débats en son sein afin d’atteindre “une coopération plus étroite” entre les Etats (ce qui peut impliquer l’attente du commun accord), ceci ne devrait pas aboutir à l’instauration d’un processus décisionnel hybride (ni majoritaire ni unanime) non compatible avec le traité.
La Cour relève d’ailleurs qu’une majorité au sein du Conseil peut à tout moment imposer la clôture des débats et procéder au vote à la majorité. Une telle décision étant, en principe, du ressort de la Présidence en exercice du Conseil.
Il convient d’ajouter - ce que la Cour ne fait pas - que la prolongation ainsi autorisée des débats comporte certaines limites. Un délai “exagéré”, assimilable à un blocage de fait de la décision, pourrait constituer de la part du Conseil une “abstention à statuer” passible d’un recours en carence basé sur l’article 265 TFUE.
Ainsi, l’avis (contraignant) de la Cour peut être considéré comme une modeste mais utile contribution à la préservation et au respect du principe du vote majoritaire au sein du Conseil - lequel est une des clefs de voûte du mécanisme décisionnel communautaire. Dans la perspective de nouveaux élargissements de l’UE, tout progrès dans ce domaine est bon à prendre ...
Cet avis a été donné le 6 Octobre 2021 - en grande chambre de la Cour - au sujet de la décision en attente du Conseil permettant la signature par l’UE de la Convention d’Istanbul de … 2011 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes. Ce dossier comporte d’autres éléments intéressants tels que la scission de la décision du Conseil en deux décisions séparées en fonction de la nature des dispositions concernées.
Jean-Guy Giraud 16 - 10 2021
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