Les multiples et contradictoires échos recueillis par la presse auprès des entourages des groupes politiques du nouveau Parlement européen au sujet du choix des futurs dirigeants des Institutions sont plutôt déconcertants.
Sans remettre en cause le principe démocratique fixé par le traité de Lisbonne selon lequel la désignation du Président de la Commission doit “tenir compte du résultat des élections", on est tout de même obligé de relever certaines dérives préoccupantes dans la mise en oeuvre de ce principe au sein du Parlement (tout autant qu’au sein du Conseil Européen (1)).
En résumé, ces dérives se rapportent au fait que le débat entre les groupes :
soit tombé dans le piège du “paquet” c’est à dire porte sur l’ensemble des postes à pourvoir, contrairement à la règle et à l’esprit du traité - risquant ainsi de conduire le Parlement à interférer dans d’autres nominations qui ne sont pas de son ressort telles que celles du Président du Conseil européen et du Haut représentant (voire du Président de la BCE). Ceci risque à la fois de nuire au choix du meilleur candidat possible pour la Commission elle même et de compliquer sérieusement l’ensemble du processus.
se concentre sur l’étiquette politique du candidat à la Présidence de la Commission plutôt que sur son aptitude à remplir la fonction. L’insistance du PPE à maintenir “son” Spitzenkandidat (2)- manifestement mal choisi et donc probablement écarté in fine - est malencontreuse. Tout autant que la tentative d’obtenir un ou plusieurs autres postes "en compensation" pour l’abandon de ce candidat.
s’apparente plus à une lutte d’influence et de “pouvoir" entre des chapelles et des appareils partisans (très largement déconnectés de leurs bases) qu’à une confrontation sur des visions respectives du projet européen - au demeurant assez proches pour l’essentiel (3).
donne la regrettable image publique de tractations confuses entre les responsables et les bureaucraties des groupes, centrées sur un partage partisan des postes concernés - auxquels s’ajoutent d’ailleurs les principaux postes à pourvoir au sein du Parlement lui-même.
Tout ceci conduit à une situation assez malsaine dans laquelle les critères de sélection des hauts responsables de l’Union sont principalement influencés par des facteurs non pertinents : la nationalité et/ou l’étiquette politique - le Conseil privilégiant le premier et le Parlement le second.
Le risque est grand de voir cet exercice se bloquer ou du moins s’enliser jusqu’à l’automne alors que des décisions difficiles, urgentes et vitales pour l’Union doivent être prises. Et de décevoir quelque peu les électeurs qui ont - eux - mieux accompli leur devoir civique.
Au total, une situation finalement assez comparable à celles que l’on constate dans la formation laborieuse de certains gouvernements nationaux au sein même de l’Union… Où l’on aperçoit aussi que la tant souhaitée “démocratisation” de la gouvernance de l’Union n’est pas un fleuve aussi tranquille qu’il était prévu et que la rénovation (la “refondation" ?) du système démocratique du siècle dernier concerne autant l’Union que ses États.
Il est toutefois probable que - cette épreuve passée - le nouveau Parlement suive pour l’essentiel la voie et la “jurisprudence” pro-européennes, tracées par cette Institution depuis son origine et fixée par les traités eux-mêmes : celle d’un renforcement de l’Europe par une ”union sans cesse plus étroite entre ses peuples”. Sans cette “boussole”, il risquerait de perdre à la fois son âme et sa raison d’être.
Jean-Guy Giraud 28 - 06 - 2019
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(1) sur l’attitude du Conseil, voir : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/le-président-des-européens-suite-2
(2) il serait utile de lier les deux concepts de “Spitzen" et de “Besten” Kandidat ...
(3) à noter que l’adoption d’une déclaration commune du Parlement sur la “Stratégie de l’UE pour 2019/2025” - conçue pour faire pièce à celle du Conseil européen - a été reportée à une date ultérieure.
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