Du 6 au 9 Juin 2024 aura lieu en même temps dans les 27 États membres de l’Union européenne la 10 ème élection du Parlement européen au suffrage universel direct.
Tenue pour la première fois en 1979, cette élection a lieu tous les 5 ans. Celle de 2024 marquera le 45 ème anniversaire du Parlement directement élu.
Sous cette forme, elle représente - sur le plan international - un cas unique d’assemblée multinationale issue du suffrage de l’ensemble des citoyens des États membres, indépendante de ces derniers et dotée de réels pouvoirs notamment sur le plan législatif.
Cette élection constitue donc un grand évènement démocratique caractérisé par la simultanéité et la simplicité (scrutin proportionnel à un seul tour) du vote de quelque 400 millions d’européens inscrits. Elle symbolise en soi l’identité, l'unité et la solidarité de l’Union tant à l’intérieur d’elle-même que vis à vis du monde extérieur.
Solidement établi après quasiment un demi-siècle d’existence, le Parlement européen a obtenu au fil de réformes successives l’accroissement de son rôle dans la gestion des affaires de l’Union en parallèle avec l’expansion de celles-ci et de leur incidence sur la vie politique, économique et sociale des européens.
Si donc la position du Parlement au sein du cadre institutionnel est a présent fermement étayée (I), certaines questions ou problèmes persistent encore (II) à la veille de l’élection de 2024 et de son contexte spécifique (III).
I - LES POINTS FORTS
Quasiment depuis sa création, le Parlement a exercé un rôle moteur - de nature progressiste et européiste - dans la poursuite du projet initial d’intégration. Il a sans cesse milité pour le remplacement de la méthode intergouvernementale par la méthode communautaire d’inspiration fédéraliste. Cette orientation doctrinale a été facilité par la domination et la collaboration en son sein des grands courants européens traditionnels de gauche et de droite modérées par nature favorables à l’intégration européenne. Il est lui-même, de fait, un organe de type supranational indépendant (comme la Commission ou la Cour de Justice) par opposition au caractère inter-étatique du Conseil (européen).
Les compétences et les pouvoirs dont il est aujourd’hui doté en font une Institution forte et reconnue comme telle. Son influence s’exerce particulièrement sur la Commission dont il participe à la nomination et dont il contrôle étroitement l’action. Il a progressivement obtenu accès au cénacle du Conseil européen en la personne de son Président.
Dans sa fonction principale de co-législateur, il négocie et arrête - à part égale avec le Conseil - la grande majorité des textes qui gouvernent l’action de l’Union. Son poids politique dans cette fonction s’appuie sur la reconnaissance d'une expertise reconnue, elle-même renforcée par un Secrétariat performant.
Il se pose avec constance en gardien de l’ordre démocratique et des droits fondamentaux au sein de l’Union, y compris en s’opposant vigoureusement aux atteintes à l’état de droit de la part de gouvernements de certains États membres.
Il fait activement progresser l’action de l’UE sur des questions de nature environnementale, sociale ou sociétale. Il mène, de longue date, une bataille pour la progression et l’indépendance du budget européen. Il s’insère progressivement dans les débats relatifs à la politique étrangère et de défense commune en incitant le Conseil (européen) à défendre activement et solidairement les intérêts et la souveraineté de l’Union.
Il s’est efforcé de promouvoir diverses formules de participation citoyenne à la vie communautaire telles que l’initiative (législative) citoyenne ou la Convention sur le futur de l’Union. Il a également développé une fonction d’enquête et d’interpellation qui lui permet d’intervenir rapidement, directement et publiquement sur certains sujets d’actualité, en phase avec l’opinion.
Il joue d’autre part un rôle croissant dans l’initiative de réformes touchant aux compétences et au cadre institutionnel de l’Union - y compris en matière de révision des Traités : il a récemment déposé une proposition de révision de grande ampleur dont est saisi le Conseil européen.
II - LES POINTS FAIBLES
Par construction, le PE est une Assemblée - donc un organe dénué de pouvoirs exécutifs. Il n’est d’autre part pas associé - ou confronté - à un Gouvernement. Son « partenaire » naturel est un organe intergouvernemental (le Conseil de Ministres) sur lequel il n’a aucune prise. Ses relations (informelles) avec les Parlements nationaux demeurent distantes.
De par les Traités, le PE a peu de prise et d’influence sur la gestion des grandes crises (Euro / Covid / Ukraine / Gaza/…) ni même dans les décisions majeurs en matière budgétaire ou fiscale. C’est le Conseil européen qui les prend en charge. On se souviendra que la France (Valérie Giscard d’Estaing) avait exigé que l’élection directe du PE soit contrebalancée par l’officialisation du Conseil Européen en 1979.
À l’opposé, il est parfois reproché au PE un certain interventionnisme sur des questions délicates de société non directement liées aux compétences de l’Union (par exemple en matière de genre ou de discriminations diverses) - ainsi que, à l’échelle mondiale, sur toute crise politique ou démocratique de quelque ampleur.
Le PE souffre - comme les autres Institutions - de l’accroissement de la « diversité » dans une UE élargie à 27 États membres. Près d’une centaine de partis politiques nationaux y sont représentés ce qui complique l’action des Groupes politiques au sein du PE qui rassemblent leurs élus par affinités plus ou moins étroites. La succession aléatoire des élections et des majorités parlementaires dans les 27 États ajoute à l’instabilité de l’ensemble (près de douze élections nationales en 2024). Au delà du PE, les Partis politiques européens ont toujours quelque difficulté à jouer un rôle effectif, y compris au moment des élections du PE.
Pour les électeurs, les scrutins nationaux demeurent plus visibles et familiers et leurs enjeux plus immédiats. En conséquence, leur médiatisation est plus intense. Les élus européens sont en général peu connus et les partis nationaux ne désignent pas toujours les candidats les plus appropriés. Le (la) Président(e) du PE n’a pas la même notoriété que ceux (celles) de la Commission ou du Conseil européen.
De récentes « affaires » mettant en cause l’honorabilité de quelques membres (largement relayées par la presse ou des ONG) ont pu brouiller l’image de l’Institution. L’influence supposée des lobbys sur certaines de ses activités a aussi fait l’objet de polémiques.
Mais le point le plus faible concerne le taux de participation à l’élection du PE. Sur les neuf précédentes élections, il a été en moyenne de 52% (62% en 1979 contre 50% en 2019). Si ce taux demeure appréciable (et très variable) au vu de la spécificité du scrutin, il ne favorise pas la consécration de la légitimité de l’Institution. Le vote des électeurs est encore assez largement influencé par la politique intérieure nationale. Ils saisissent souvent cette occasion pour manifester leur opinion sur la gestion de leurs gouvernements.
III . LE CONTEXTE DE 2024
Le niveau général de la participation électorale en Juin 2024 est difficile à anticiper. Il sera très variable selon les États membres, notamment au vu de la diversité des situations politiques et des calendriers électoraux nationaux. Certains facteurs (positifs comme négatifs) pourraient entrainer une participation plus élevée qu’en 2019. Les évènements de toutes sortes - par nature imprévisibles - qui portaient intervenir à l’approche immédiate de Juin 2024 pourraient influencer le scrutin.
Les crises internationales (avant tout la guerre d’Ukraine) ainsi que les défis communs à tous les États membres (climat, épidémies, économie) pourraient provoquer un réflexe commun de solidarité active. À l’opposé, les problèmes causés par la crise agricole et par la pression réglementaire européenne pourraient déclencher plus de votes protestataires.
Le déclin progressif des partis de gouvernement dans l’UE - historiquement européistes - va se faire sentir plus fortement encore en 2024. Avec pour corollaire, le probable renforcement de partis moins modérés - voire extrémistes et populistes - dont l’attitude vis à vis du projet européen dans son ensemble sera plus critique et, dans certains cas, négative.
********
Chaque élection européenne est traditionnellement qualifiée comme importante - voire déterminante - pour l’avenir de l’UE. Celle de 2024 n’échappera pas à la règle. Un nouvel élan populaire et démocratique au niveau européen serait bienvenu pour re-dynamiser l’unité et la solidarité entre les citoyens. La dangereuse situation internationale (offensive russe, incertitudes américaines, …) l’exigerait - ainsi que les velléités souverainistes et nationalistes au sein de l’Europe elle-même. Cet élan faciliterait d’autre part la poursuite des grands projets de l’Union pour les cinq prochaines années, par exemple le renforcement de ses actions en matière climatique et énergétique - mais aussi l’avancement de ses objectifs dans des domaines tels que la défense ou l’élargissement. Quoiqu’il en soit, cette 10 ème élection à l’échelle de 450 millions de citoyens de 27 États demeurera un évènement en soi, une nouvelle preuve de la résilience et de la poursuite d’un projet européen unique dans l’histoire et facteur de paix et de stabilité depuis bientôt 75 ans.
Jean-Guy Giraud 06 - 02 - 2024
Comentários