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LE DEVOIR DE PROTECTION DES INTÉRÊTS FINANCIERS DE L’UE



Depuis l’origine, la Communauté puis l’Union ont considéré que l'entreprise de construction européenne était “fondée" sur des “valeurs” de civilisation et sur des droits humains communs à leurs Etats membres et s’imposant tant à eux (et aux Etats candidats à l’adhésion) qu'aux Institutions. Valeurs et droits placés au frontispice des Traités (art.2 et 3 TUE) et explicités par la Charte annexée à ceux-ci. 


La difficile protection des “valeurs"

Pour contrôler et assurer le respect de ces droits et valeurs, plusieurs mécanismes ont été prévus puis renforcés au fil des ans - notamment à l’occasion des grands élargissements de l’UE en 2004 et 2006 .  


Toutefois, l’expérience a montré que ces mécanismes s’avéraient insuffisants pour prévenir des violations ou abus de la part des gouvernements de certains Etats membres. 


Bien que régulièrement signalées par des Instituts ou ONG spécialisés et largement reprises par la presse depuis des années, ces violations n’ont été officiellement répertoriées pour la première fois au niveau de l’Union qu’en Septembre 2020 dans le premier “Rapport annuel sur l’ État de Droit” (1).

Encore faut-il noter que ce rapport - purement factuel - ne concerne qu’un aspect particulier (l’État de droit) de l’ensemble des valeurs et droits humains qui fondent l’Union (2) et qu'il n’est pas assorti de nouveau mécanisme de sanction (3) . Il est uniquement conçu pour documenter - sur des bases objectives rassemblées par la Commission - la situation prévalant dans l’ensemble de l”UE et dans chacun des Etats membres. (4).


D’autre part, il met en évidence une réalité déjà perceptible - et d’ailleurs prévisible : c’est principalement dans les nouveaux États membres (notamment les anciens États communistes) que la situation s’avère la plus problématique (5). Si la responsabilité directe des dirigeants en place est principalement en cause, tant les adhérences de l’ancien système que des caractéristiques culturelles et sociétales spécifiques peuvent expliquer ce décalage.

Or l’Union n’est ni capable ni d’ailleurs habilitée à imposer des évolutions civilisationnelles nationales qui ne pourront être que graduelles - même si les mécanismes précités devraient contribuer à accélérer cette mutation et à limiter les abus les plus dommageables pour les citoyens concernés (6).


L’impératif de protection des intérêts financiers de l'Union

Il est toutefois un domaine précis où l’Union est parfaitement légitimée à agir : celui de la protection des intérêts financiers de l’UE lorsque ceux-ci sont menacés par des entorses à certains des principes évoqués ci-dessus et notamment à celui de l’Etat de droit. On sait en effet que l’utilisation des crédits européens est souvent compromise par l’inefficacité (voire la complicité) des systèmes et services nationaux de détection et de répression d'irrégularités commises tant par les autorités que par les opérateurs - et que ces irrégularités peuvent prendre des proportions considérables (7). 


Et c’est précisément pour améliorer cette protection que la Commission a proposé en 2018 un nouveau mécanisme visant à contraindre les Gouvernements à mettre en place ou renforcer des structures et procédures nationales adéquates. Mécanisme assorti de sanctions éventuelles en cas de carence ou d’insuffisance. 


Cette proposition - qui a reçu un aval ambigu et partiel de la part du Conseil Européen - est actuellement en cours de négociation entre le Conseil et le Parlement. Elle prendra la forme d’un règlement soumis à la procédure ordinaire de co-décision (le Conseil statuant à la majorité qualifiée). 

En résumé, le mécanisme fonctionnerait de la façon suivante :

  • la Commission constate, après enquête, l’existence de violations sérieuses de l’Etat de droit en matière d’utilisation des crédits communautaires par un Etat membre, propose des sanctions appropriées et en saisit le Conseil,

  • ces sanctions peuvent notamment consister en la suspension du versement des crédits de l’UE à l’Etat concerné,

  • le Conseil reste maître de l’”exécution” de la proposition de la Commission et statue à la majorité qualifiée,

  • toutefois, l’Etat membre visé peut faire appel de la décision auprès du Conseil européen - lequel dispose de trois mois pour valider ou invalider cette décision. Il se prononce selon la procédure habituelle de “consensus” cad à l’unanimité. 


Ce dernier point pose évidemment un problème majeur (le même qui affecte la procédure plus générale de l’article 7 relative à la violation des ‘valeurs" de l’Union) : on sait que certains Etats membres n’hésitent pas à brandir la menace de leur veto dans de telles circonstances et à bloquer ainsi toute décision. 


Toutefois, cette proposition peut être utile pour la détection systématique d'insuffisances éventuelles dans les systèmes nationaux de contrôles et de sanctions relatifs à l’utilisation des crédits européens. Ce mécanisme devrait être opérationnel en temps utile pour la mise en oeuvre du Plan de Relance post-Covid qui confiera aux Etats membres la gestion de plus de 700 milliards de crédits/prêts en plus des dotations budgétaires annuelles. 


Mais ce mécanisme ne remplace pas un moyen (aujourd’hui inexistant) de contrôle ex anteen continu et sur place par les autorités communautaires des phases successives d’engagement et de paiement de ces crédits - moyen permettant de “sanctuariser” véritablement la dépense communautaire (8).


En dernière analyse, il convient de rappeler que les Institutions de l’UE sont directement responsables - devant les contribuables européens - de la “protection des intérêts financiers de l’UE” et que les Etats ne disposent que d’une délégation de pouvoir pour administrer la gestion des crédits européens - comme le prévoit clairement l’article 325 TFUE. Délégation d’ailleurs révocable comme le prévoit implicitement la proposition de la Commission.


Dans ce domaine - et plus clairement sans doute que pour la protection des “valeurs” - toute objection relative à la souveraineté nationale des Etats ne saurait être retenue. 



Jean-Guy Giraud  03 - 10 - 2020 

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(2) https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/rule_of_law_factsheet_1.pdf :  les quatre “piliers” sélectionnés sont : "le système de justice, la lutte contre la corruption, le pluralisme des medias et les autres pouvoirs et contre pouvoirs institutionnels”

(4) le Parlement européen a lui-même proposé un système comparable mais plus élaboré - voir : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2020-0170_EN.html

(5) le rapport comprend une analyse pays par pays : voir par exemple celle relative à la Hongrie (https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/hu_rol_country_chapter.pdf

(6) Ceci est notamment vrai pour des domaines particulièrement sensibles comme, par exemple, ceux relatifs à l'interruption de grossesse, aux questions de “genre" ou aux droits des minorités sexuelles. On sait que certains gouvernements prennent prétexte de l’insistance de l’”Europe” (en fait surtout du Parlement européen) sur des sujets tels que la protection des minorités “LGBT" pour contester la notion même de protection européenne des droits fondamentaux dans leur ensemble.

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