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LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE CONCURRENCE ET L’IGF



À la demande du Ministre des Affaires économiques français, M. Bruno Lemaire, l’Inspection générale des finances a rédigé un rapport visant à “évaluer la politique européenne de concurrence et d’en proposer des aménagements en vue de contribuer à la préparation de l’agenda de la (nouvelle) Commission”.


Ce rapport, qui vient d’être publié (1), fait suite aux observations du Ministre sur l’affaire du projet de fusion Alstom-Siemens, projet refusé par la Commission en Février 2019.


Sans revenir sur les faits de cette affaire (2) ni entrer dans les détails du rapport de l’IGF, il peut être utile d’en résumer brièvement les conclusions.


Dans une première partie, le rapport constate que la politique européenne de concurrence (PEC) :

  • semble avoir rempli plutôt efficacement son rôle sans entraver, sur le nombre, la conduite de projets industriels européens,

  • exerce,“singulièrement dans le monde”, un contrôle sur les aides d’État,

  • est mise en oeuvre de façon plus stricte au sein de l’UE qu’ailleurs, notamment qu’aux États-Unis,

  • a tendance à conditionner ses autorisations de fusion à des engagements structurels, avec le risque de vente d’actifs stratégiques à des concurrents extra-européens.

  • L'IGF ajoute que c’est la contrainte exercée par la Cour de Justice qui incite la Commission à l’interprétation la plus stricte des textes.


La deuxième partie du rapport se penche sur les “aménagements” pouvant être apportées à la PEC pour répondre à la demande expresse du Ministre.


Elle constate d’abord que deux pistes de réformes éventuelles nécessiteraient une (improbable) révision des traités :

  • la sortie de la PEC de la compétence de la Commission pour la confier à une instance extérieure indépendante,

  • la possibilité de donner au Conseil “un pouvoir d’évocation” des affaires.

L’IGF se limite donc à des propositions de caractère technique visant :

  • a mieux tenir compte de l’arrivée potentielle sur le marché intérieur de concurrents extra-européens notamment lorsqu’ils bénéficient de subventions,

  • à inviter la DG Concurrence au sein de la Commission de s’appuyer sur les autres DG voire sur des personnalités indépendantes de manière

  • à améliorer la collégialité, la prise en compte des gains d’efficience ou l’élaboration des remèdes. 

Dans une troisième partie, le rapport de l’IGF aborde la PEC dans le contexte des relations internationales de l’UE.


Il estime nécessaire de renforcer l’arsenal de mesures commerciales de l’UE afin de s’adapter aux stratégies non coopératives de nos principaux partenaires. Pour cela, il est proposé : 

  • de mieux contrôler l’application des accords commerciaux signés par l’UE,

  • d'utiliser l’accès aux marchés publics (européens) comme levier pour faire pression sur les pays sur les pays dont les marchés publics demeurent fermés,

Enfin, pour que “l’Europe se donne les moyens d’une puissance industrielle nécessaire à sa souveraineté”, l’IGF propose de : 

  • développer des structures de financement européennes en faveur des entreprises innovantes et d’accroitre les financements publics européens dans la R&D,

  • de "limiter au maximum” le contrôle ex ante de la Commission sur les aides publiques à la R&D pour en favoriser “la fluidité”.

Le rapport comprend, in fine, une liste 17 propositions précises, en ligne avec ces conclusions. 

                                                                       

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Quelles remarques, de caractère général, peut inspirer ce rapport, par ailleurs d’une grande qualité (3)?


Tout d’abord qu’il répond à un besoin réel pour l’Europe de faire face à une forme nouvelle d’explosion anarchique de la concurrence internationale - notamment du fait des pratiques de grands concurrents tels que la Chine. Besoin que le blocage actuel de la réforme de l’OMC ne permet pas de satisfaire. Et besoin qui conditionne à la fois la préservation de la souveraineté économique de l’UE et le développement - voire la survie - de ses entreprises.


Mais aussi que certaines des propositions avancées peuvent être sujettes à débat.


Sans les développer ici, on peut prévoir quelques sujets de controverse éventuelle :

  • l’accent mis sur le rôle de la puissance publique (européenne ou nationale) pour protéger ou assister les secteurs économiques concernés par voie de subventions et d’autres formes d'aides d’Etat (la notion, chère au Ministre, de promotion de “champions industriels européens" n’est toutefois pas expressément reprise),

  • la remise cause de deux principes de base de la PEC, à savoir la compétence exclusive et interne de la Commission et la non-intervention du Conseil (cad des États) dans le processus de contrôle,

  • les observations un peu hâtives sur le fonctionnement interne des Institutions qu’il s’agisse du collège de la Commission, de l’organisation de la DG compétente ou de l’autonomie de jugement de la Cour de Justice,

  • plus généralement - mais ce n’était pas l’objet de la demande du Ministre - une prise en compte insuffisante de la mission de base de la PEC telle que fixée par le Traité - à savoir la protection des intérêts du consommateur-citoyen final en matière de prix, de qualité, de choix et d’innovation des produits. 

Le sujet demeure plus que jamais d’actualité - que ce soit sous la forme du contrôle des investissements étrangers en Europe ou la constitution de grands groupes industriels européens (du type GAFA, dans le domaine des batteries électriques ou des automobiles).


La Commission sortante a fait des propositions (en souffrance au Conseil) ou lancé des pistes que pourra reprendre le nouveau collège.


Cette Institution est, par nature, imperméable aux controverses idéologiques pouvant par exemple opposer “libéralisme" et “étatisme”. La seule règle que lui fixent les Traités est, dans le domaine de la PEC comme dans les autres, de protéger les intérêts du citoyen par la promotion de l’action commune des États membres, concertée et adoptée par l’intermédiaire du législateur (Conseil et Parlement) et mise en oeuvre par la Commission.


En matière de PEC, elle dispose d’une expertise et de moyens que ne possède aucun État membre. Elle n’est, d’autre part, ni naïve ni angélique et saura répondre aux évolutions du nouveau contexte international avec, sans aucun doute, l’appui et la coopération des États et des administrations nationales.



Jean-Guy Giraud  05 - 06 - 2019 

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(3) voir en annexe la liste impressionnante des instances et personnalités consultées  

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