Dans la droite ligne des engagements internationaux souscrits par l’UE et ses États membres (Accord de Paris), des objectifs prévus par les traités (art.3§5 TUE et art. 191/193 TFUE), du programme général adopté par la nouvelle Commission ainsi que des orientations fixées par le Conseil et le Parlement en matière de protection de l’environnement - la Commission vient de proposer le texte législatif de base de la “Loi Européenne pour le Climat" (“European Climate Law” - ECL).
Cette loi a pour objectif "d’établir le cadre permettant de parvenir à la neutralité climatique” à l’horizon 2050 dans l’UE grâce à la suppression de l’émission nette de gaz à effet de serre (“net-zero greenhouse gas emissions”).
Les aspects juridico-institutionnels de la loi climat ...
La présente note a pour seul objet, au-delà des éléments techniques et du débat public sur cette question, de mettre en relief les aspects institutionnels et juridiques de la proposition de la Commission.
En résumé, il convient de saluer le caractère particulièrement volontariste du système proposé qui, par souci d’efficacité et de rapidité, délègue notamment à la Commission le pouvoir de légiférer au nom de l’UE sous le contrôle du Parlement et du Conseil.
Dans cette optique, les quatre principales caractéristiques institutionnelles du texte sont les suivantes :
il s’agit d’une proposition de règlement (et non de directive) : c’est à dire que ce texte sera contraignant dans tous ses éléments dès son adoption, sans nécessiter de lois nationales ultérieures de transposition,
ce règlement (basé sur l’art. 191§1 TFUE) pourra être adopté par l’autorité législative selon la procédure ordinaire : c’est à dire par le Conseil statuant à la majorité qualifiée (donc sans possibilité de veto d’un État) et par le Parlement votant à la majorité simple de ses membres,
ce règlement ne fixe que le “cadre” de l’action de l’Union : le pouvoir d’adopter les mesures précises et détaillées de cette action (c’est à dire l’essentiel du dispositif matériel dans de multiples domaines) sera confié à la Commission qui légifèrera par voie d’”actes délégués”directement applicables et contraignants (1),
de même, la Commission sera chargée du contrôle régulier et spécifique de l’exécution de ces actes délégués par les États membres.
… et les risques d’altération ou de blocage par les gouvernements
Pourquoi insister ici sur cet aspect juridico-institutionnel de la loi européenne sur le climat ?
Pare que, selon toute probabilité, les gouvernements et les administrations nationales vont probablement émettre de fortes réserves sur ce montage juridique qui délègue à la Commission un champ étendu de compétence et de responsabilité. On peut donc s’attendre, sur ce point, à des tentatives de “démontage” au moins partiel de la proposition de la Commission au risque, évidemment, d’en limiter l’efficacité.
D’autant plus que, si le financement des adaptations climatiques (notamment industrielles) incombera principalement aux États, le budget de l’UE sera également mis à contribution - un montant de 15 milliards d’euros étant prévu dans le cadre financier pluriannuel 2021/2027.
Or le Conseil européen, qui s’est auto-saisi du CFP (2), tentera immanquablement de se saisir parallèlement de la "loi climat", ainsi d’ailleurs que de toutes les autres propositions de caractère législatif liées au CFP, en violation flagrante de l’article 15§1 TUE : “Le Conseil européen n’exerce pas de fonction législative".
De sorte que - au lieu d’être soumis au vote majoritaire du Conseil et du Parlement - la loi-climat risque d’être soumise au vote unanime du Conseil européen avec de fortes chances de tentatives de veto (conduisant à des altérations de la proposition) de la part de l’un ou l’autre chef de gouvernement.
In fine, rappelons que ces détournements de procédure et de pouvoir réduisent considérablement le rôle législatif et démocratique du Parlement - ce qui présente également un risque de blocage de l’ensemble du dossier de sa part.
(NB Ce projet de règlement complète celui adopté en 2018 concernant “la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat”)
Jean-Guy Giraud 06 - 03 - 2020
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(1) Ces actes délégués sont définis par l’article 290 TFUE (suite à une proposition de la Convention de 2002). Quelques limites à la liberté d’action de la Commission sont prévues qui permettent au Conseil ou au Parlement de s’opposer - dans certaines conditions - à la mise en oeuvre de ces actes.
(2) voir https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/scoop-le-conseil-adopte-le-budget-de-l-union
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