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LA DIPLOMATIE ET LA DÉFENSE EUROPÉENNE EN BALANCE



À Philadelphie puis à Paris ...

En 1787, à Philadelphie, la Convention constituante américaine s’accorda spontanément - presque sans débat - sur un point : la construction d’une Union d’Etats impliquait nécessairement une compétence exclusive des autorités fédérales en matière de diplomatie et de défense. Pour être efficace, l’exercice de cette compétence devait être très largement confié à l’exécutif - cad au Président - sous le contrôle de l’autorité législative et principalement du Sénat représentant les Etats fédérés. Au sein du Sénat chaque Etat disposait d’un voix égale mais les décisions étaient prises à la majorité.

En Europe, un siècle et demi plus tard, la démarche fut l’inverse. Suite au rejet en 1952 du projet de Communauté européenne de défense et de Communauté politique (impliquant une politique étrangère commune), les Etats fondateurs décidèrent, en créant la CECA puis la CEE, d’exclure cette compétence du champ d’action commun. Ce n’est que progressivement, au fil des révisions successives des Traités, qu’un embryon de diplomatie et de défense communes fut laborieusement développé pour parvenir à la situation actuelle : un champ d’action potentielle et une autorité exécutive très limités, un organe décisionnel (le Conseil) de type intergouvernemental et ne pouvant statuer qu’à l’unanimité de ses membres.


… une lente et laborieuse évolution ...

A l’évidence, ce décalage entre les mécanismes institutionnels et décisionnels américain et européen s’explique par des raisons historiques, géographiques, stratégiques, culturelles,etc … Le pas décisif qui aurait pu être franchi en Europe au sortir de la deuxième guerre mondiale (comme il le fut aux Etats-Unis dans le contexte de la guerre d’indépendance) s’est réduit à une lente et laborieuse évolution. Si les traités ont finalement reconnu, sur le plan des principes, la nécessité pour la survie même de l’Union de constituer une forme d'alliance diplomatique et militaire, cet objectif se heurte toujours, aujourd’hui, à des limites et des obstacles persistants qui, en pratique, paralysent les quelques moyens d’action juridiquement disponibles.


Il faut même reconnaitre que - au fil des ses élargissements successifs, l’Union ne semble plus à présent véritablement en mesure de poursuivre cette évolution - alors même que son environnement mondial exigerait au contraire de l’accélérer.


… illustrée par l’affaire de Gaza ...

Une illustration récente et presque caricaturale de ce blocage est fournie par la (non) réaction de l’UE aux récents évènements de Gaza (1). Lorsque l’on mesure - au delà de l’aspect humanitaire - les implications géo-politiques de la situation explosive du Moyen Orient, le fait même qu’aucune position officielle de l’Union (2) n’ait pu être adoptée à cause du veto d’un seul Etat membre constitue un véritable cas d’école de l’impuissance diplomatique européenne.


À cet égard, les extraits de commentaires d’observateurs extérieurs (regroupés par le think tank américain Carnegie) sont révélateurs et valent bien de savantes analyses (3):

  • At each periodic outburst of violence, (the Union) has watched aghast, wondering what to do"

  • Despite its huge economic and political interests in the region, Europe has been extremely reluctant to lead the efforts in Palestinian-Israeli conflict resolution. Without a unified position of its own, Europe finds it safer to defer to the United States"

  • Let us face it: Europe lacks the courage to stand up for its own ideals or even protect its own interests"

  • The EU is doing what it almost always does during crisis times—and not only in the Middle East. It is issuing declarations employing the usual vocabulary that is used on occasions such as the current clash between Israel and Hamas”.

De fait, on assiste même à un certain ralentissement du processus d’union diplomatique européenne - en particulier sous l’influence de grandes puissances étrangères (Russie, Chine, Turquie). Par des contacts et des accords directs avec certains Etats membres - cad, en pratique, avec les gouvernements en place - ces puissances parviennent non seulement à promouvoir leurs intérêts propres mais aussi à freiner le développement de positions européennes communes susceptibles de faire obstacle à leurs ambitions géo-politiques.


… mais quelques marges de manoeuvre et des progrès possibles ...

Dès lors, les seuls outils efficaces qui restent à la disposition de l’Union pour conserver une certaine influence internationale se situent dans la projection vers l’extérieur de politiques communes classiques en matière commerciale, énergétique, environnementale, numérique, etc … Dans une certaine mesure, l’un des principaux progrès accomplis dans le domaine militaire - le développement de capacités communes d'armement - est par exemple un prolongement de la politique industrielle interne de l’UE.


Pour autant, certains Etats de l’Union (parmi les plus anciens et les plus développés) n’ont pas renoncé à unir leurs efforts pour conserver une certaine influence sur la scène internationale - de façon occasionnelle et circonstancielle. Bien qu’agissant sur une base intergouvernementale, ces Etats ont le sentiment d’agir “au nom de l’Union” ou du moins dans la défense de ses intérêts - et leurs initiatives demeurent ouvertes à d’autres Etats membres. Par exemple, l’Allemagne et la France concertent étroitement leurs diplomaties respectives - parfois rejointes par l’Italie, l'Espagne ou le Benelux.


Enfin, la collaboration souvent déficiente de la plupart des nouveaux Etats membres - voire leurs initiatives unilatérales déviantes - sont étroitement liées à leur situation politique interieure. La présence (temporaire) de dirigeants nationalistes au sein de leurs gouvernements (dirigeants parfois sensibles aux avantages personnels qui peuvent leur être proposés par des puissances étrangères) n’est pas une fatalité. Des évolutions démocratiques devront tôt ou tard se produire, facilitant la participation de ses Etats à la politique étrangère et de défense commune. Mais il est difficile de prévoir quand et comment interviendront ces évolutions - et il faut être conscient que la poursuite du processus d’élargissement dans les Balkans ne facilitera pas les choses. Le monde pourra-t-il attendre la “naissance de l’Europe-puissance" ?


… dans l’attente d’un “miracle à la Conférence".

Peut-on espérer que sur ce sujet - comme pour beaucoup (trop ?) d’autres - la Conférence sur le futur de l’Europe permettra certaines avancées ? Mettra-t-on par exemple sur la table, à cette occasion, la fameuse question de l’abolition (ou du moins de la limitation) du droit de veto? Quoiqu’en pensent les tenants du “réalisme" politique, cette avancée constitutionnelle serait un progrès potentiel considérable. Peut-être faudra-t-il une forte dégradation du climat diplomatique international pendant le déroulement même des débats (ce qui ne peut être exclu au vu des tensions actuelles) pour provoquer une prise de conscience de l’opinion facilitant un déblocage politique et institutionnel … Après tout, il a été établi depuis fort longtemps que l’Union ne progresse qu’à l’occasion de crises - comme vient de le démontrer une fois encore l’épisode de la crise sanitaire.


Jean-Guy Giraud

04 - 06 - 2021


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(2) le Conseil européen du 24 Mai - invité par son Président à “briefly adress the situation in the Middle East" - a adopté la seule conclusion suivante : "We welcome the ceasefire that should bring an end to the violence. The EU will continue to work with international partners to restart a political process (…)”

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