Une des clauses les plus étonnantes - et pourtant peu remarquée - du Traité de Lisbonne
a pour effet de lier l'ensemble des États membres par une clause dite de « défense
mutuelle »1 ainsi libellée :
« Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire,les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir [...] ».
Article 42 §7 du TUE.
Un destin partagé
Bien que cette clause soit assortie de précisions et réserves diverses et qu'elle s'inscrive dans le contexte d'autres accords internationaux et européens en matière de défense collective (voir ci-dessous), elle n'en revêt pas moins une « haute importance symbolique et politique » 2 ainsi que - le cas échéant - opérationnelle pour l'Europe.
Elle constitue certainement « l'innovation la plus importante » du Traité de Lisbonne en matière de politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne : « une telle disposition aurait été inenvisageable il y a quelques années seulement. La signification politique est celle d'un destin partagé »3.
Même si cette clause « ne transforme pas l'Union en une alliance militaire », elle « affirme pour la première fois une solidarité militaire propre aux États membres de l'Union ». 4
Selon les termes mêmes du Traité de Lisbonne, cette clause doit être interprétée - une fois le mécanisme déclenché - comme une « obligation stricte en ce qui concerne le principe de l'engagement de défense (« les autres États membres lui doivent... ») et une « obligation diversifiée sous l'angle des modalités » (« tous les moyens en leur pouvoir ») : mesures diplomatiques, économiques ou financières et recours à la force ».5
Plus loin que la Constitution
Il est remarquable que cette clause soit l'une des rares qui non seulement s'écarte du texte initial de la Constitution, mais aille aussi plus loin que celle-ci.
La Convention s'était limitée à prévoir une telle clause dans le seul cadre d'une coopération plus étroite entre les États membres qui souhaiteraient y souscrire.
Les représentants des gouvernements de certains États membres au sein de la Convention avaient en effet considéré qu'une clause communautaire de défense collective serait incompatible avec leur statut d'État « non-aligné » ou concurrente avec le système mis en place par l'OTAN (Rapport BARNIER).
C'est donc la CIG elle-même qui a tranché le débat - inextricable - soulevé par les «neutralistes » et les « atlantistes » en se prononçant, courageusement, pour une clause d'application générale à tous les États membres.
Avec ou sans l'OTAN
Il faut cependant rappeler le contexte dans lequel se situe cette clause :
elle doit s'appliquer « conformément à l'article 51 de la Charte des NU » (qui définit le « droit naturel de légitime défense individuelle ou collective dans le cas où un membre des NU est l'objet d'une agression armée »),
elle demeure « conforme aux engagements souscrits par certains États membres au sein de l'OTAN » (Article 42 §7 du TUE) et de l'UEO,
elle « n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense des États membres » et notamment de « certains d'entre eux » (Article 42 §7 du TUE / Protocole n° 11 et Déclaration 13 et 14 annexés aux TUE).
En pratique, l'OTAN demeure (pour les 21 États membres de l'Union européenne qui en sont membres 6, à la fois « le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre » (Article 42 §7 du TUE) : son intervention serait prioritaire si la sécurité d'un de ses États membres était mise en cause.
Toutefois - et en dehors de sa porte symbolique et politique soulignée ci-dessus - la
clause communautaire d'assistance mutuelle revêt une valeur opérationnelle dans la
mesure où :
elle s'inscrit dans le cadre des relations étroites et structurées qui unissent l'OTAN et la « zone de sécurité / défense » de l'Union européenne ;
elle représente, pour les États membres de l'Union européenne non parties au pacte de l'OTAN, « une garantie inédite d'assistance » ;
elle « autorise une stratégie autonome de l'Union européenne au cas où la protection de l'OTAN ne pourrait intervenir ».7
Dans les têtes et dans le Traité
Dès 2003, M. Jean-Claude JUNCKER avait estimé que la stratégie européenne de défense et la clause de défense mutuelle « devaient se trouver au cœur de la future Constitution européenne [...]» qui serait, sinon, inachevée.
Il ajoutait : « l'Union européenne a besoin d'une clause de défense mutuelle » car « si l'intégration européenne est à finalité politique, il est évident que l'Union européenne et ses membres s'engagent à porter secours et assistance à celui de ses membres qui serait attaqué de l'extérieur [...]. Cette solidarité est dans les têtes, pourquoi ne pas l'inscrire dans la Constitution ? » 8
Jean-Guy GIRAUD
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1 Cette appellation demeure toutefois contestée par certains commentateurs.
2 Cf. JC PIRIS « Traité Constitutionnel pour l'Europe » / Bruylant 2006
3 Etienne de PONCINS « Le Traité de Lisbonne en 27 clés » / Ed. Lignes de repères, 2008
4 Jean-Luc SAURON « Comprendre le Traité de Lisbonne » / Ed. Gualino, 2008
5 Traité établissant une Constitution pour l'Europe / Ouvrage collectif / Bruylant 2007
6 Seuls l'Autriche / Chypre / la Finlande / l'Irlande et Malte ne sont pas membres de l'OTAN.
7 Traité établissant une Constitution pour l'Europe / Ouvrage collectif / Bruylant 2007
8 Assemblée de l'UEO / Naples / 2 décembre 2003
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