On se souvient que, en 2016, l’affaire des "Panamas Papers” - révélée par un lanceur d’alerte - avait défrayé la chronique internationale et amené l’UE à se pencher de plus près sur la question des paradis fiscaux internationaux. Ceux-ci sont en effet non seulement à l’origine de pertes fiscales considérables pour les Etats membres (1) mais aussi liés à des circuits de financement occultes facilitant le blanchissement de capitaux et la criminalité transfrontalière (drogue, corruption, armements, etc …).
Longtemps du domaine exclusif des législations nationales, la lutte contre les pratiques de ces Paradis a progressivement été abordée par l’UE et un certain nombre de mesures très limitées ont été prises notamment pour établir une typologie et une liste indicatives, communes aux Etats membres.
Le Parlement européen a joué un rôle particulièrement actif dans ce domaine grâce aux travaux extensifs de deux Commissions d’enquête (TAXE en 2015 et PANA en 2017) - puis de la sous commission permanente sur les questions fiscales.
Une nouvelle étape de ces travaux a donné lieu à une résolution du 13 Janvier 2021 relative à “la réforme de la liste européenne des paradis fiscaux” (2).
Le Parlement y expose notamment les obstacles qui entravent une réaction commune dans ce domaine :
le caractère très restrictif des compétences communautaires en matière fiscale (notamment sur la fiscalité directe cf. impôts sur les sociétés) pour lesquelles n’existe dans le traité qu’une base juridique étroite largement soumise à la règle de l’unanimité (3),
la procédure à la fois consensuelle et opaque de prise de décision, instruite in camera par un groupe de fonctionnaires nationaux puis soumise à la décision unanime du Conseil sans intervention directe de la Commission et sans accord ni même consultation du Parlement.
Ces limitations expliquent que l’UE ne soit parvenue que récemment à établir certains critères communs de définition des paradis fiscaux et à en dresser une liste indicative très réduite qui fait l’objet de la résolution du PE.
Pour l’essentiel, le traitement de ces paradis ressort donc toujours, à l’heure actuelle, de la compétence de chaque Etat membre (qui peuvent conclure des accords bi-latéraux avec certains paradis) et varie considérablement selon l’implication et les intérêts de chacun. La mise en oeuvre de contre-mesures éventuelles demeure elle aussi du ressort des Etats.
Il convient d’ajouter que la "liste européenne” ne concerne que les pays tiers à l’UE et que le cas de plusieurs Etats membres - assimilables sous certains aspects à des paradis fiscaux - n’est pas pris en considération (4).
Au total, l’UE ne semble pas à la veille de mener une politique commune dans ce domaine, tant du fait de la limitation de ses compétences juridiques que du manque d’enthousiasme de certains de ses Etats membres. D’autre part, la question des paradis fiscaux est également traitée dans d’autres enceintes internationales telles que le G20 et l’OCDE - ce qui peut légitimer, sans vraiment la justifier, l’attitude attentiste de l’UE.
Il est toutefois possible que la pression croissante de l’opinion publique - alertée de façon récurrente par les rapports des ONG et par les multiples affaires reprises par la presse - amène la Commission et le Conseil à traiter ce dossier avec plus de zèle et d’efficacité. En ce temps de très grave crise économique et budgétaire, les très importantes pertes fiscales liées aux paradis sont en effet devenues insupportables tant sur le plan financier que moral.
Encore un beau sujet pour … la Conférence sur le futur de l’Europe !
NB La résolution du PE propose - suite au Brexit - l’inclusion des paradis fiscaux britanniques dans la liste européenne : voir https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/2018/11/21/le-brexit-et-les-paradis-fiscaux-britanniques
Jean-Guy Giraud 30 - 01 2021
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(1) pertes estimées à près de 400 milliards d’euros par an - à comparer avec les 150 milliards du budget de l’UE pour 2020
(3) à noter toutefois que certaines dispositions des traités permettraient - dans ce domaine - la prise de décisions à la majorité qualifiée : l’article 66 TFUE relatif aux circonstances exceptionnelles et l’article 116 TFUE relatif au rapprochement des législations
(4) dans les listes de paradis établies par diverses ONG figurent notamment, du fait de certaines de leurs pratiques fiscales : Hongrie, Irlande, Luxembourg, Malte, Pays Bas ...
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