Le 29 Juillet 2020, le Conseil a rendu publique une “proposition de la Présidence concernant la décision du Conseil relative au système des ressources propres de l’Union européenne”.
Selon la procédure prévue par l’article 311 TFUE, cette proposition doit successivement :
être soumise pour “consultation” au Parlement européen,
être adoptée par le Conseil à l’unanimité,
être approuvée par les Etats membres à l’unanimité conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.
Cette procédure - dite “procédure législative spéciale” - appelle notamment les remarques suivantes sur le plan institutionnel :
sur le rôle du Conseil européen: on sait que cette proposition a été en fait négociée et adoptée (jusque dans ses moindres détails) par le Conseil européen des 19/22 Juillet 2020. Il n’est pas fait mention de cette (pré)décision du Conseil européen dans les visas juridiques qui précèdent la proposition : en effet, le Traité interdit expressément à cette Institution d’exercer “une fonction législative”. Toutefois, les considérants qui accompagnent la proposition font répétitivement référence aux “demandes, invitations, conclusions, …” du Conseil européen. De facto, le Conseil européen s’est donc substitué au Conseil de ministres dans ce qui peut être considéré comme un détournement de procédure. Pour habituelle qu’elle soit, cette pratique relève d’un phénomène plus général : celui de l’accroissement régulier de l’intervention du Conseil européen dans le processus décisionnel (y compris législatif) des Institutions. Ce phénomène avait été relevé ici.
sur le rôle du Parlement européen : l’article 311 ne prévoit qu’une simple “consultation” du PE pour les décisions relatives aux ressources propres de l’Union. Cette consultation peut certes amener le Conseil à modifier sa proposition avant de l’adopter - mais le fait que celle-ci émane en fait du Conseil européen réduit considérablement la marge de manoeuvre du Conseil. Le Traité ne prévoit donc pas l’expression, au niveau européen, d’un consentement démocratique à l’impôt ce qui constitue un paradoxe maintes fois dénoncé mais jamais véritablement remis en question. En réalité, le Traité considère l’impôt européen comme une prérogative de la souveraineté des Etats - et ce sont d’ailleurs les parlements nationaux qui devront donner cet accord à leurs gouvernements respectifs (voir ci-dessous).
sur le rôle de la Commission : l’article 311 ne mentionne pas la Commission du fait du caractère plus intergouvernemental que communautaire de la procédure. Toutefois, techniquement, celle-ci est bien à l’origine de toute proposition en la matière. D’ailleurs - et curieusement - le texte du Conseil dispose “vu la proposition de la Commission” laquelle n’en est pas une au sens juridique du terme (ce qui, entre autres conséquences, signifie qu’elle ne peut pas la retirer en cas de désaccord grave). Cependant, le rôle confié à la Commission dans la gestion du grand emprunt de 750 milliards d’euros renforcera son rôle d’exécution budgétaire.
sur le rôle du Conseil : il se limite en fait à un rôle d’intermédiaire entre le Conseil européen et les Gouvernements appelés à ratifier la décision. Il se prononce bien sûr à l’unanimité, ce qui d’ailleurs pourrait permettre à tout Etat membre de ralentir - voire bloquer la procédure - dès ce stade en dépit de l’accord obtenu au niveau des Chefs d’Etat.
sur le rôle des parlements nationaux : en dépit de leur accord déjà donné au niveau du Conseil européen puis du Conseil “Budget”, toute décision sur les ressources propres doit encore être approuvée finalement "par les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives”. Soit un risque supplémentaire de blocage ou de retard - notamment du fait de l’accord nécessaire d’une quarantaine de parlements nationaux (voire régionaux). Dans un régime idéal où les gouvernements signataires sont l’expression d’une majorité parlementaire stable, cet accord devrait aller de soi - mais on sait que dans l’UE27 la situation est souvent plus complexe. Ceci dit, dans un système où les trois quarts des ressources “propres” sont en fait des contributions budgétaires nationales, cette ratification parlementaire apparait démocratiquement légitime sinon incontournable. Sauf à considérer qu’il reviendrait aux élus européens - et non nationaux - à exprimer le consentement à l’impôt européen (voir ci-dessus). Ce pas n’est pas encore franchi et ne semble pas près de l’être.
Au total, une procédure “spéciale" d’une extrême lourdeur, associant les deux méthodes - communautaire et intergouvernementale - pour l’adoption d’un impôt représentant quelque 2% du total des budgets des Etats membres (1). Ironiquement, on pourrait donc en arriver à se féliciter de l’intervention préalable - et en principe “souveraine” - du Conseil européen qui simplifie, en la court-circuitant, cette procédure. D’autant plus que cette intervention a enfin permis la création d’une ressource d’emprunt - commune à tous les budgets nationaux depuis des lustres mais jusqu’ici refusée à l’UE. Souhaitons donc que cette décision soit menée rapidement à bon port - dans l’intérêt supérieur d’une Europe confrontée à une grave crise économique. Mais continuons à espérer que - “dans le moyen terme” - une plus grande autonomie soit accordée au budget (ressources et dépenses) d’une UE 27 ++ dans laquelle la méthode communautaire apparait plus nécessaire que jamais et où, surtout, la règle majoritaire doit inévitablement remplacer celle de l’unanimité. Jean-Guy Giraud 05 - 09 2020 _________________________________ (1) https://ec.europa.eu/info/strategy/eu-budget/how-it-works/fact-check_fr#howbigistheeubudget
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