Le 31 Janvier 2020, la rupture historique entre le Royaume Uni et l’UE sera officiellement consommée.
Après presque un demi-siècle d’appartenance à l’Europe - soit deux générations de jeunes puis d’adultes euro-britanniques - le Royaume va larguer les amarres et s’orienter vers un nouveau "destin désormais séparé " de celui du continent.
Quels que soient les liens commerciaux et économiques qui pourront être - par accord international - sauvegardés dans leurs "relations futures", le Royaume Uni va devenir un “État-tiers-à-l’Union", au même titre que les États-Unis, la Russie ou …la Chine. Il est difficile de réaliser aujourd’hui toutes les conséquences techniques de cette séparation dans la multitude de domaines - les "politiques communes” notamment - auxquels le RU a participé et dans lesquels il s’est profondément inséré. Le processus de “disentanglement” sera long, coûteux et complexe.
Mais il est encore plus ardu d’imaginer vers quel type de “destin” va s’orienter la “Glorious and Global Britain” dont la classe politique et économique britannique a fait miroiter l’image à une opinion désorientée. Une rupture dans le chaos Car cette rupture ne s’est pas faite dans l’ordre ni la clarté. Tout au long d’un processus cahotique, ni les partisans ni les opposants au Brexit n’ont su expliquer clairement les raisons, les enjeux, les conséquences et les suites du retrait de l’Union. Les premiers - au sein de la majorité au pouvoir - ont fait montre d’une démagogie et d’un populisme effrontés, jusqu’ici épargnés à cette vielle démocratie. Les seconds - dans le principal parti d’opposition - ont lié la question européenne à des considérations idéologiques partisanes et clivantes. Le débat, aussi enflammé que caricatural, a divisé le pays, tant au sein de l’Angleterre qu’entre celle-ci et les autres “nations" du Royaume. Les jeunes se sont opposés à leurs ainés, les ruraux aux citadins, les cadres aux ouvriers, les éduqués aux non diplomés, etc … Et, dans ce désordre surprenant, on a vu les régions et classes les plus défavorisées prendre fait et cause pour - et conforter la domination de - la partie la plus conservatrice et la plus privilégiée du pays. Mais on aussi suivi (avec une certaine envie) les défilés de centaines de milliers de personnes brandissant, dans les artères de Londres, des drapeaux …européens. Un destin incertain Cause ou reflet de ces développements sans précédent, on a constaté le déclin de la social démocratie britannique, la mort dans l’oeuf d’un centre libéral (seul vraiment pro-européen) et la radicalisation d’une droite plus conservatrice encore que par le passé. Phénomène sur lequel s’est ajoutée - s’est superposée - la crise d’un système constitutionnel ancestral à bout de souffle. Vers quels nouveaux horizons va désormais s’orienter la nef “libérée” - mais passablement déboussolée - de la Global Britain ? On verra dans les tous prochains mois quelles seront les premières orientations de l’écrasante majorité conservatrice, sous la conduite assez imprévisible de son nouveau leader, fortement légitimé par les dernières élections. Assistera-t-on à un décrochage précipité du continent, à une libéralisation et une financiarisation accélérées et délibérées en marche vers un modèle “singapourien” ? À un arrimage militaire, diplomatique, économique, sociétal et culturel avec le grand frère américain ? Une gueule de bois européenne Si tels sont les objectifs plus ou moins conscients du nouveau Gouvernement, on peut s’attendre à des négociations très difficiles avec l’UE au sujet des relations futures entre d’anciens partenaires devenus, dans une certaine mesure, des adversaires ou au moins des rivaux. Et il ne faudra pas s’étonner de voir resurgir la perspective du No Deal, présente depuis le début dans l’esprit de certains dirigeants et milieux conservateurs. Le choc sera, en toute hypothèse, rude aussi pour l’Union qui se voit brutalement amputée d'une de ses trois principales puissances au moment où elle souhaite - elle aussi … - devenir un "Global power”. Au delà de l’impact considérable produit par l'inévitable affaiblissement des liens de toute nature avec le RU, ce retrécissement sans précédent ne manquera pas de provoquer de fortes turbulences au sein d’une Europe entrainée vers un Est incertain et coupée de son principal "go-between" avec l’Ouest. Si l’UE a démontré, sous la conduite impeccable de son négociateur, une forte unité pendant la première phase du Brexit, pourra-t-telle maintenir durablement cet esprit de solidarité? Débarrassée - par amputation - du problème britannique, l’Union des 27 ne risque-t-elle pas de se trouver confrontée plus ouvertement à ses propres divisions internes. En premier lieu à la détérioration croissante des relations entre les anciens et nouveaux États membres - mais aussi aux forces centrifuges d’un atlantisme diversement partagé parmi l’ensemble des membres. Le test de la gravité du syndrome post Brexit ne va pas se faire attendre. Au moment même où le RU quittera les Institutions de l’UE, celle-ci devra s’entendre sur le cadre budgétaire de ses activités pour les sept prochaines années. Par delà l’aspect proprement comptable de cet exercice (compliqué par la perte de la contribution britannique), c’est en fait le degré d’ambition pour le développement de l’Union qui sera tracé par les 27. Ce qui suppose un minimum de vision commune sur le “futur de cette nouvelle Europe” dont le centre de gravité risque de se trouver ébranlé. Il était donc sage, de la part des Institutions, de prévoir sans tarder un de ces exercices réguliers d’introspection globale dont elle a coutume - sous la forme d’une "Conférence sur l’avenir de l’Union”. Opération certes à risque mais préférable à la mise continue sous le tapis de trop de problèmes et divergences. Une remarque pour terminer : l’attitude qu'adoptera le nouveau Gouvernement britannique (en fait le nouveau et tout puissant Premier Ministre) dans les négociations post Brexit ne sera pas sans conséquence sur l’Union elle-même. S’il se montre sincèrement désireux, comme il le prétend, d’opérer une séparation à l’amiable - préservant autant que possible des liens étroits et durables avec l’Europe dans tous les domaines (y compris extra-communautaires) - le choc sera d’autant moins déstabilisateur pour l’Union. S'il décide au contraire de s’orienter délibérément vers une rupture nette et brutale - cad vers un “grand large” aussi mythique soit-il - les craintes de déstabilisation des 27 évoquées ci-dessus peuvent se matérialiser. En somme, en reprenant pour ainsi dire la main, le RU n'a pas fini d’influencer le destin de l’Europe - poursuivant d’une certaine manière une tradition vieille de plusieurs siècles. Jean-Guy Giraud 14 - 12 - 19
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