Une des “doléances” - plus ou moins clairement exprimée lors des manifestations des “Gilets jaunes” et dans les contributions fournies au "Grand Débat" - vise la concentration du pouvoir administratif, politique et économique au sein d’un groupe réduit, fermé, élitiste et auto-reproducteur de responsables qui formerait ainsi une nouvelle forme d’”aristocratie républicaine”.
Le problème est bien connu et documenté. Il date principalement des débuts de la Vème République et du renforcement des pouvoirs exécutif et administratif en réaction aux déboires du régime parlementaire des dernières années de la IVème.
Lors de sa campagne présidentielle, le futur Président avait à son tour dénoncé ce phénomène et avait semblé vouloir y porter quelque remède ou atténuation (1).
Bientôt deux ans après l’entrée en fonction de M.Macron, la situation n’a guère évolué et s’est même peut-être aggravée si l’on en croit certaines analyses portant par exemple sur la place de l”Énarchie”(2) dans les équipes au pouvoir.
Il semble bien que la monopolisation glissante du pouvoir par une mince élite au sein de l’administration - puis du gouvernement - puis, dans une moindre mesure, des grandes entreprises publiques ou privées se soit poursuivie, voire renforcée (3).
Ce système, spécifiquement français, assure indiscutablement une certaine efficacité dans la gestion des affaires politiques et économiques. Il crée toutefois une barrière infranchissable entre un pouvoir endogamique et l’opinion, au détriment de tous les corps intermédiaires et de la "respiration démocratique" du pays. Si ce phénomène est toléré lorsque la situation sociale demeure satisfaisante, il devient une cible pré-désignée lorsque celle-ci se détériore.
Le remède à ce dangereux déséquilibre serait une refonte du système lui-même. Mais celle-ci a peu de chance d’aboutir dans la mesure où elle devrait être consentie et initiée par ceux-là même qui forment la dite “élite”…(4)
Dès lors, d’autres contre-feux doivent être improvisés comme l’organisation de grands débats ou le recours au referendum. Plus dangereusement, le Président lui-même peut décider d’assumer personnellement tous les reproches et tous les risques - en lieu et place de l’”élite” par l’intermédiaire de laquelle il exerce largement son pouvoir.
C’est ainsi que les prochaines élections européennes en France risquent d’être détournées de leur objectif premier (le choix des représentants français au sein du pouvoir législatif européen) et mettre principalement en jeu la responsabilité politique du Président. Et ce d’autant plus que la politique européenne de la France soufre du même syndrome de concentration du pouvoir (5).
Élitisme et présidentialisme … S’il existe certes de pires formes de gouvernement - y compris au sein de l’Europe - il serait sage et prudent de reconnaitre les défauts du système français, surtout au moment où l’opinion manifeste de façon aussi violente son malaise. Et il serait dangereux de compter sur une hypothétique amélioration du climat économique pour reporter, une fois de plus, les réformes nécessaires.
Le Président s’est engagé, dès le début de son mandat, à “refonder l’Europe”. Il semblerait tout aussi utile et logiquement plus à portée de main, de “refonder la gouvernance française”.
Jean-Guy Giraud 25 - 02 - 2019
(3) voir la récente enquête à charge de l’ouvrage “La Caste” : https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_caste-9782348037702.html
(4) à l’occasion du 4 août 1989 - deuxième centenaire de l’"abolition des privilèges" par la Révolution - certains ont prêté au Président Mitterand l’intention d’effectuer une profonde réforme du système des grands corps et des grandes écoles mais son entourage l’en aurait dissuadé …