On sait que le fonctionnement général de l’UE est basé sur le nécessaire respect, par les États membres, des valeurs fixées par l’article 2 du Traité.
Parmi ces valeurs ou principes figure celui de l’État de droit cad l’existence de dispositions, procédures et structures internes nationales assurant le respect effectif du droit en vigueur - et notamment des décisions et règles européennes.
Le budget européen et l’ État de droit
Parmi ce règles figurent celle de la saine gestion des fonds européens par les États membres.
Si l’UE dispose de certains moyens pour sanctionner des cas ponctuels de mauvaise gestion, elle se trouve démunie en cas de déficience globale liée à des violations généralisées de l’État de droit par un État membre.
Ces violations peuvent porter sur une ou plusieurs atteintes aux principes suivants :
- indépendance et impartialité des juridictions,
- caractère arbitraire ou illégal des décisions prises par les autorités publiques,
- fonctionnement déficient de ces autorités,
- insuffisance ou inefficience des recours juridictionnels.
La protection des intérêts financiers de l’UE
La situation prévalant dans certains États membres en matière de respect de l’État de droit a conduit la Commission à proposer - dans le contexte du cadre financier 2021/2027 - un mécanisme spécifique de protection des intérêts financiers de l’UE en cas de telles violations généralisées.
Ce mécanisme prend la forme juridique d’une proposition de règlement complétant le règlement financier de base de l’UE.
En résumé (1), ce règlement :
définit la notion de déficience généralisée dans l’application des principes de saine gestion budgétaire des fonds européens,
précise la nature des sanctions applicables - notamment la suspension des paiements,
établit la procédure de décision de prise de sanctions :
constatation de la déficience par la Commission (après une procédure contradictoire avec l’État concerné)
proposition détaillée de sanctions de la Commission,
possibilité de refus ou d’amendement de cette décision par le Conseil (statuant à la majorité qualifiée).
L’opportunité de la proposition de la Commission
Cette proposition de la Commission peut inspirer les remarques suivantes :
elle correspond bien à un sentiment général de l’opinion choquée par la double impunité des États qui, par le biais de violations de certains principes de base, tolèrent une gestion déficiente (voire frauduleuse) des fonds européens,
sa rigueur et sa simplicité (6 articles principaux sur trois pages de texte) sont méritoires,
elle témoigne d’une réelle hardiesse de la Commission compte tenu des réactions prévisibles de certains États membres et de la responsabilité assumée de la Commission dans la procédure proposée,
elle est susceptible de faciliter l’adoption du CFP par les États membres les plus soucieux du bon usage des deniers publics,
elle viendra utilement compléter la création en cours d’un Procureur européen, chargé notamment d’enquêter sur des infractions ponctuelles ou des fraudes au détriment des intérêts financiers de l’UE.
Une issue incertaine
Ceci dit, cette proposition de règlement (pris sur la base de l’article 322 TFUE) devra trouver l’accord du Conseil (majorité qualifiée) et du Parlement.
Au vu de la situation politique dans certains États membres (où la question du respect des valeurs pose en ce moment même de graves problèmes), il faut s’attendre à de farouches oppositions - éventuellement assorties de menaces relatives à l’adoption (à l’unanimité …) du prochain CFP voire au versement des contributions au budget de l’Union...
Menaces qui feront sans doute douter certains de l’opportunité d’une telle mesure dans le climat politique actuel de l’Union - mesure qui interfère au surplus dans le domaine politique délicat du respect des valeurs et de la souveraineté des États.
Cette mesure ne pourra donc aboutir que si elle bénéficie d’une part du soutien actif et déterminé des États les plus “vertueux” (et contributeurs nets au budget …), et d’autre part d’une forte majorité au sein du PE (qui a maintes fois réclamé des mesures de ce type) (2).
Adoptée ou rejetée, cette proposition sera à mettre au crédit de la Commission Juncker - au même titre que son initiative tout aussi audacieuse relative au respect des valeurs de l’UE par la Pologne (art. 7 TUE).
En résumé : faut-il couper les crédits aux "États voyous" ? La question méritait au moins d’être posée.
Jean-Guy Giraud 13 - 05 - 2018
(1) voir le texte officiel de la proposition :
(2) l’avis de la Cour des comptes pourra aussi peser sur la décision